Il y a un an, j’écrivais ceci dans mon premier article présentant Maudits :
« …selon les chrétiens, posséder un trèfle est une chose mais un trèfle à quatre feuilles, c’est la symbolisation même de la chance via la quatrième feuille (les trois autres représentant respectivement l’espérance, la foi et la charité). »
Si le fait de citer une de ses propres phrases peut paraître un peu démago, force de constater est que je n’étais pourtant pas en train d’écrire dans le vide. Ou bien étais-je fou et j’en ai enfin la confirmation. Mais l’artwork d’Angle Mort nous ramène à cette notion de chance. Cette notion de toucher, percer ce mystère que représente la chance. Pourquoi certains en ont tant et semble la gaspiller ? Pourquoi d’autres l’observent de loin et ne l’atteignent jamais ? D’autres encore la possèdent mais en abusent tant qu’elle les déforme. Les décharne. Les transforme en créature immonde et déshumanisée.
Est-ce une main ? Ou un pied qui tente de s’emparer de ce trèfle sur le visuel? Si c’est une main, où est le pouce ? Elle n’a que quatre doigts excessivement longs ? Ou bien est-ce un pied étiré en longueur exorbitante ? Autant de questions que je me pose depuis quelques semaines à l’écoute de ce nouvel EP de la jeune formation française. Angle Mort porte à la réflexion. Angle Mort montre un nouvel angle non seulement philosophique mais également musical. Forcément, en découvrant l’auteur de ce démentiel dessin, vous comprendrez mieux pas mal de choses…
Cet angle est toujours une sorte de post progressif mais le niveau s’élève encore, d’un cran supplémentaire. Maudits l’éponyme est assez rentre-dedans. Angle mort montre justement cet approche moins direct mais hautement plus insidieuse. Ainsi, les deux premiers morceaux forment un premier angle à nonante degrés. « Angle Mort » et « Verdoemd » s’imbriquent l’un dans l’autre en y faisant monter la pression. Les arrangements progressifs sont poussés au plus « post » possible tout en gardant l’orchestration délicate au touché. J’entends par là qu’on peut presque toucher le son de basse et de batterie. C’est assez délirant cette capacité de matérialiser la mélodie. Les doigts glissent sur la gratte, le spoken words d’un certain Nicolas Zivkovitch (Ddent, que j’ai chroniqué l’an dernier). Le ton monte mais ne s’énerve jamais, parvenant pourtant à capter l’attention et la garder.
Les nonante degrés suivants ont été diffusés le mois dernier dans notre émission radio de novembre. Vous n’écoutiez pas ? Rattrapez-vous maintenant. « Perdu d’avance » entame sa chute par une mer froide et calme. Un riff simple et inquiétant, transpirant une tempête, un tsunami à venir, une épidémie à mort lente (sans rire, même pas fait exprès celui-là). À mon sens, le morceau révélant toute la patience, la puissance que Maudits est capable de distiller sans pour autant se sentir en obligation de déferler les décibels. La production parfaite permet un décorticage de chaque instrument. On peut réécouter la composition en se focalisant sur un instrument pour entendre de multiples morceaux différents. Insaisissabilité au rendez-vous, un peu comme cette chance que je mentionne plus haut. Le solo de guitare est un hommage progressif aux maîtres du genre.
Il ne me reste que cent quatre-vingt degrés à distribuer et tellement de mots à poser. La composition suivante est une réécriture de « Résilience » du premier opus. Ou une suite ? Il est intéressant de faire l’exercice de passer les deux l’un à la suite de l’autre. Plus qu’une réinterprétation, il s’agit là d’une autre approche, une autre manière d’envisager le morceau, l’un étant la face A de la face B de l’autre (oui, il faut suivre, dévisage, défigure pour les plus pointilleux d’entre vous). L’avantage de l’EP est de pouvoir se permettre ce type d’exercice. Enfin, on termine le carré parfait avec « Epäselvä », premier single choisi par le groupe défendre sa sortie chez Klonosphère et Season Of Mist . Traduisez du finnois « Indistinct », Maudits opte pour un final plus expérimental encore où des influences d’autant plus atmosphériques font leur apparition. Dans mon cas, l’intro m’a fait penser à du Massive Attack par exemple. Cette tendance plus trip hop en y incorporant des éléments pur post rock va s’intensifier jusqu’à son paroxysme. En soi, l’idée d’indistinction est parfaitement intégrée. Maudits ouvre d’autant plus son champs avec un solo progressif pour terminer sur une guitare acoustique. Bref, un melting-pot d’influences de multiples horizons en parfaite balance. Et ce, du début à la fin d’Angle Mort. Tant de facettes pour un seul groupe s’il vous plaît.
Bref, vous l’aurez compris, cet EP est plus que séduisant dans tous ses degrés. Maudits fait preuve d’une véritable maitrise de tout ce qu’il touche et pour être ambivalent aux premiers mots de mon texte, ils n’attendent pas seulement la chance pour espérer découvrir et explorer des terrains très vagues. Ils se les créent pour creuser encore plus profondément. Cet Angle Mort permet d’explorer d’autres facettes du groupe. Nul doute que l’avenir permettra à Maudits d’introduire un rond plus grand dans son carré si parfait en lui conférant toute sa grâce. Allez-y les yeux fermés et d’ailleurs, ne les réouvrez qu’à la fin du disque. C’est alors votre propre angle mort qui se révélera à votre esprit.
Bonne écoute
- Tiph