Le mot absinthe a connu diverses significations et diverses histoires. Surnommée « La Fée Bleue (ou Verte) des Boulevards », ce spiritueux a connu un passé des plus obscurs. Accusé de provoquer des hallucinations psychotiques à ses consommateurs, on lui a aussi attribué des vertus médicinales à un moment de son évolution. On en donnait même aux enfants avec du miel et on conseillait son mélange avec du vin pour créer du vermifuge. Interdite de vente en France et en Suisse pendant près de cent ans, l’absinthe a depuis retrouvé son statut d’antan de spiritueux de classe, mais garde sa réputation sulfureuse de psychotique, hallucinogène et dérangée.
Ces mêmes derniers adjectifs (voire la description en réalité) sont applicables au son d’Absynth, mais cette fois, c’est un voyage vers le futur qui nous est proposé avec ce Plèbe 2178 ou du moins une hallucination psychiatrique profonde de quatre mecs totalement en décalage et respirant dans un autre univers. Un univers fortement inspiré de Star Trek, il en convient au vu du visuel, comme si nous nous retrouvions au cœur de l’Enterprise, mais si ce n’est que le vaisseau mythique a subi les graves dérives de la consommation de drogues et pas forcément les douces… Truffé de détails géniaux en hommage à… enfin en rapport à la drogue pardon, on peut vraiment passer les cinquante-huit minutes de l’album à chercher tous les liens, les idées, les inspirations qui s’y planquent tels des toxicomanes en manque.
Ces toxicomanes, justement, vont traverser la galaxie d’entrée de jeu sur « Pig, Dogs & Whatever You Want » et ne pas savoir où ils débarquent. Peut-être avec une arrière-pensée pour Pink Floyd, Absynth enfonce directement le clou six pieds sous haze avec un riff d’une lourdeur « Bongripperesque ». On y ressent aussi du Dopethrone, une approche limite blues avec tous les boutons volumes poussés hors limite. Le solo à mi-chemin donne l’envie d’un bong bien chargé et d’un thé aromatisé pour l’accompagner. Enfin, l’idée est plutôt de ne pas griller toutes les cartouches car la suite ne va pas décélérer de puissance ni de psychotropes. Le voyage vers un futur sans retour s’engage…
« Abyssal Haze » enfonce encore un peu plus ce clou dans l’hyperespace ventilé et intemporel. Où sommes-nous ? En 2178 ou en 1967 ? Un larsen débouche dans l’orbite d’une exoplanète en forme de champignon extrême. Le doom traditionnel se mêle aux scratches des météorites. En résulte une fournaise illustrée par un mid-tempo agrémenté d’un solo hallucinatoire. Hallucinatoire à ne pas confondre avec hallucinogène. Cinq minutes et vingt-sept secondes de délires abyssals comme indiqué dans le titre. On ne sera pas en reste sur la suite des évènements. « PCP (Psychiatre Carcéral Psychopathe » donne le sentiment que le groupe aime Windhand mais voulait doper la sensation. Antoine, guitariste chanteur semble faire pleurer son instrument à traverser un solo psychotique avant de tomber dans un bad trip blues. Le final sera pourtant groove et absolument imparable. Composition intégralement instrumentale, ce titre permet une première transition avant les derniers morceaux de l’album où on va repartir dans la lourdeur extrême.
J’écris une première car l’interlude « Gasp » nous plonge dans une noise noire et malsaine. Un peu comme cette exoplanète inconnue, où l’on ne sait pas si on doit accoster ou s’il faut absolument l’éviter. Elle compose en son une intro parfaite pour LE titre de l’album « Black Land Ritual ». Pour votre culture, sachez que le Pays Noir est la région de Charleroi en Belgique, là où nos grands-pères ont travaillé dans les mines jusqu’aux années 80. Les quatre membres du groupe (et moi aussi d’ailleurs) sont originaires de ce Pays Noir. Historiquement, Charleroi est terre conquise de Hardcore. Absynth lui offre à travers ce titre une nouvelle identité. Tout est presque nostalgique, de la puissance des soli à la rythmique parfaite et au final cataclysmique. Le titre à voir en live.
Cataclysme pourrait aussi coller avec les treize minutes dissonantes de « Heroin Hero ». Morceau peut-être le plus proche de ce que fait Bongripper, le quatuor montre que l’on peut descendre dans les tonalités extrêmes en gardant pourtant un tempo soutenu. Véritable arrache-cou, tout est pressenti dans ce titre pour être l’apocalypse le plus assourdissant du soi. Le paroxysme se produit aux alentours des cinq minutes. J’aime parfois vous laisser découvrir par vous-mêmes. Tenez-vous bien à l’écoute, car ça va dégommer du champi vert. La basse d’Arnaud pose les bases d’un final dantesque et angoissant.
Si vous pensiez pouvoir relâcher votre étreinte, il reste les onze minutes de « Satan ». Si le titre semble anodin et « ré-utilisé », il possède trois particularités importantes. La première : avant d’être un groupe de Doom, Absynth faisait des reprises de Nirvana et consorts. Ils avaient à peine dix-sept ans et les testicules à peine décollées de la peau. « Satan » est la toute première chanson qu’ils ont composé dans leur mutation. La seconde particularité : « Satan » est le titre peut-être le plus représentatif de l’évolution du groupe. Tant en live qu’en studio (le titre était déjà présent sur l’EP), il a subi une véritable transformation au fil des années pour devenir ce qu’il devait être sur Plèbe 2178. À savoir une véritable incantation et un hymne à la défonce totale. La troisième et dernière particularité : l’explosion de riffs débouchant sur un final noise assourdissant, mystifiant, essoufflant et complètement barge. Visualisez-vous à l’intérieur de l’Enterprise en pleine décélération, en plein bad trip de fin de l’univers, où rien ne subsistera. Tout est mort. Je n’avais pas entendu une fin d’album aussi destructrice depuis le pavé « Stones From The Sky » de la légende Neurosis… C’est peu dire.
Enfin, comment ne pas souligner le travail accompli au mixage de l’opus par le Soundwave Studio, alias Ben, dit The Green Hermit. D’ailleurs en faisant un lien de causalité avec la description de l’absinthe, il était évident qu’un jour dans les cieux interstellaires de la galaxie des champignons atomiques et hallucinatoires feraient se rencontrer les deux entités. Plèbe 2178 sort ce 18 juillet en numérique (c’est mon anniversaire en plus), un dimanche pour ne rien faire comme les autres, en qualité d’indépendant. Il est plus que difficile d’imaginer qu’aucun label ne va se manifester pour transformer cet essai en vinyle collector et en objet de collection. Absynth traverse un premier vortex en 2021. Dans cent cinquante-sept ans, il prendra une tournure aux teintes apocalyptiques, anarchistes et dystopiques d’un monde mort bien avant.
Bonne écoute
- Tiph