Le géant de la dark ambient allie son expérience à la chanteuse Karin Park (Årabrot) pour une sortie chez Pelagic Records. En résulte une collaboration intense et un véritable univers parallèle sonore. Il faut découvrir cet album dans le sombre et l’ambiance feutrée de la tombée de la nuit. Vous me connaissez désormais, il m’arrive d’avoir envie d’écrire les sensations qu’un opus me procure sous l’exercice de la nouvelle. Une construction plus complexe qu’il n’y paraît, que je mûris depuis plusieurs semaines. Je vous laisse essayer de comprendre l’envers du décor que j’ai construit grâce à cet effort. Une des très grosses surprises cette année.
Bonne lecture.
La Terre n’était plus que sable. On ne savait pas depuis quand. Ou plutôt ne savait-on plus situer ce changement radical dans le temps. Ne subsistaient que de rares tribus de quelques hommes et femmes éparpillées sur le globe. Le sable avait subitement tourné en ouragan. Certains dirent que c’était là une punition divine, d’autres pointèrent les changements climatiques. En réalité, aucun survivant n’en avait la moindre idée. Dans un monde où il fait plus de quarante degrés en permanence, les rares orages avaient creusé çà et là des Oasis donnant de quoi subsister les Hiraethiens. Cela venait d’une langue disparue, le Gallois et qui signifie Nostalgie. Les Nostalgiques, tels qu’ils se surnommaient eux-mêmes, ces bédouins rescapés. Les réfugiés s’étaient accumulés partout où ils avaient trouvé un endroit de survie, avec une forme de rancœur profonde en eux et un souvenir de la vie d’avant Le Grand Souffle. Il y eut des milliards de morts et pas seulement par l’acte du Grand Souffle. Des centaines de millions périrent de soif, de faim et de chaleur. Les rares humains ayant survécu au cataclysme n’avaient que pour seule vie de quoi s’abreuver et sauver ce qu’il restait.
Salel, jeune Hiraethien de vingt ans, marchait droit devant lui sans jamais bifurquer depuis de longues heures. Il avait laissé les quelques villageois de sa tribu au pied d’un oasis de fortune. Le système était simple : tour à tour et au départ du dernier oasis trouvé, les Hiraethiens choisissaient une direction à suivre, absolument tout droit. S’il repérait une autre oasis en chemin, dans son axe de vue, il rejoignait celui-ci et attendait les autres de la tribu, qui l’imiteraient quelques heures plus tard. Il arrivait malheureusement que certains s’égaraient ou ne se rendaient pas compte d’un changement de leur trajectoire. Si cela se produisait, leurs noms disparaissaient à jamais. C’était cette fois le tour du jeune homme. La faim par contre, car l’un ne va pas sans l’autre, était parfois comblée par des trouvailles, comme des conserves, sauvées par le temps et largement enfouies dans le sable. De temps en temps un bol de fourmis, un scorpion ou un serpent, les rares animaux ayant traversé les années après le Grand Souffle. Plus horrible, il pouvait arriver aux Hiraethiens de consommer leurs morts… L’une des raisons pour lesquelles les Hiraethiens ne s’attachaient pas à leurs compères.
De toute sa vie, il n’avait connu que ce mode vie. Sa mère l’avait mis au monde dans cette petite tribu, il ne sut jamais qui est ou était son père. S’il avait été conçu avant ou après le Grand Souffle. Sa mère ne fut jamais retrouvée après son tour de marche. Il en était ainsi dans ce monde jaune et or, où chaque grain est un assassin en puissance. Durant sa marche éreintante, épuisante et monotone, Salel se posait toutes les questions possibles pour que son esprit vagabonde sans penser à la soif. Comment ce monde pouvait-il exister ? Comment se pouvait-il que certains hommes aient survécu ? Y trouveraient-ils enfin un point de chute à cet exile sans fin ? Comment ses ancêtres ont pu se laisser surprendre par le Grand Souffle ? C’est alors que Salel trébucha sur une sorte de pointe du sol sableux.
À peine une dizaine de centimètres, une sorte de pointe dans un matière qu’il n’avait jamais vue, mais dont certains anciens parlaient : l’acier. Comme le hasard ne frappe jamais seul, il aperçut une oasis à quelques dizaines de mètres plus loin. Peut-être l’un des plus grands qu’il ait connu. Après avoir étanché sa soif, il entreprit de creuser pour en savoir plus sur l’objet. Il semblait se prolonger dans le sol. Avec ses mains, il chassait le sable. Au fur et à mesure qu’il creusait, la sensation étrange de déterrer le passé de son espèce l’envahissait. Durant des heures, il creusa… tandis qu’une voix surgit du silence du désert, caressé uniquement par le vent.
- Salel ? Que fais-tu ? Qu’est-ce donc que cela ?
Il en avait complètement oublié que son peuple marchait dans sa direction. Son ami Yiles se tenait au-dessus du cratère qui s’élargissait déjà.
- Je ne sais pas répondit Salel, mais c’est la première fois que nous trouvons autre chose que de la pourriture. Cela semble être enterré.
Le reste de la tribu se rassemblait petit à petit et observait avec méfiance cette pointe étrange, sortie de nulle part. Entre curiosité, défiance et crainte, les yeux de sa tribu reflétaient l’inconnu.
- Salel, ce qui est mort ne devrait pas être réveillé, ne crains-tu pas la colère des Dieux de la Nature ?
- Celle-là même qui a créé ce monde où chaque minute peut-être notre dernière, répondit Salel avec arrogance.
- Cela était le cas bien avant, jeune homme, les Hommes mourraient déjà de la mal nutrition et de la soif. Si nous en sommes là, c’est à leurs vices qu’on le doit. Laissons enterré ce monde, Salel.
Le jeune Hiraethien comprit la mise en garde. En soi, elle était même justifiée. Mais la curiosité fait partie de la génétique humaine.
- Je ne réclame pas ton intervention, Alter. Si tu souhaites errer sur cette planète dans l’unique but d’y pourrir au soleil, au final, c’est ton choix.
Salel se tourna alors vers les autres membres de la tribu.
- C’est également le vôtre. Pour ma part, je choisis de construire notre civilisation. Moi, je continue de creuser, dit-il en retournant vers le trou duquel dépassait la structure.
À sa surprise, la tribu le rejoignit, y compris Alter… Un immense chantier s’entama… Un chantier qui s’étendra sur toute une vie…
Salel a ce soir aux alentours de nonante ans. Jamais il n’eut crû que ce moment se produirait. La tribu fut d’abord rejointe par hasard par une autre tribu, puis une autre…. Où chaque membre apporta sa force, ses idées, ses ressources… Grâce au nombre, ils purent réfléchir à comment stabiliser l’Oasis, envoyer des équipes chercher de la nourriture, certes toujours en faible quantité. Des routes furent « tracées ». Le diamètre de creuse prit une ampleur insoupçonnée. Une structure s’éleva du sol en creusant toujours plus bas. Ce qui était paradoxal puisque plutôt que de toucher le ciel, les Hommes s’en sont éloignés en allant plus bas.
Au fur et à mesure de la descente, ils découvrirent des plateformes. D’abord pas très grandes. Ils tombèrent même sur une salle et des outils étranges. Ils pouvaient s’asseoir et poser des choses dessus. Ils y trouvèrent également des salles presque protégées du sable. Quatre axes de soutien se dessinaient en s’écartant les uns des autres… la structure étaient tout simplement immense. Toujours sans nom… Salel repensait à cette vie qui lui avait donné un sens. Une vie de pauvreté, mais une vie de sensation. Une vie de privation, mais une vie de découvertes. La civilisation des Hommes se reconstruisait en creusant toujours plus bas. Les naissances augmentaient. Plusieurs générations de creuseurs s’enchaînaient. La solidarité se renforçait, le cannibalisme diminuait… jusqu’au jour où l’un d’entre eux toucha le sol d’auparavant.
Ils dégagèrent alors celui-ci, la tranchée de creuse se mesurait en centaines de mètres. Quatre immenses pieds supportaient la structure, avec trois étages de plus en plus larges. La pointe sur laquelle Salel avait trébuché il y a de cela septante ans était à plus de trois cent mètres de hauteur. Jamais il n’aurait un jour voir cela de ses propres yeux. Alter était lui aussi toujours vivant. Les deux aînés regardaient cette structure provenant de leur passé.
- Salel, toi qui nous a menés dans cette entreprise. À ton avis, qu’était-ce ?
- Son nom ne nous est pas parvenu mon vieil ami. Mais elle est le symbole de l’union qui nous a permis de survivre et donner un sens à l’humanité. Notre humanité. Nous le devons à nous seul, à aucune divinité.
Salel mourut quelques heures avant qu’un autre creuseur découvre ce qui s’apparentait à un temple divinisé possédant des créatures étranges à ses sommets…
Bonne écoute.
- Tiph