Un consolamentum est une pratique ayant vu le jour au XIIe siècle dans le Midi de la France. Elle est un baptême spirituel par lequel une personne se soumet à des règles de vie très strictes, assurant son âme au repos éternel après la mort. Le consolamentum s’applique en deux circonstances : soit on y adhère avant de sentir ou connaître sa propre fin, on est alors considéré comme Parfait, soit on réclame le sacrement alors que l’on sait son sort décidé (par une maladie ou une sentence de mort par exemple), on est alors appelé un « Consolé ». Des « ministres » étaient en charge de l’analyse de chaque cas et avait droit de damnation ou liberté sur la personne. La pratique fut considérée comme hérétique car le nombre de Consolés se montrant faibles face à la mort était important.
J’ai pris mon temps en faisant des recherches et diverses lectures sur le sujet avant de me lancer dans la rédaction de la chronique de ce nouvel album de Year Of No Light. Premièrement car il était fort attendu. Huit années séparent ce nouveau recueil de Tocsin (si on ne tient pas compte du split en 2015 avec Bagarre Générale). Huit années à éplucher leur discographie et huit années de vibrations intenses à chaque écoute de chaque opus. Secondement car une sortie de YONL se savoure et se décortique, de l’artwork aux titres des compositions, en passant par le son et ses fréquences si profondes. Consolamentum apporte un regard à la fois critique sur le passé et approfondit le débat d’une vie après la mort. Ou d’une mort après la vie ? Selon que l’on se place en inquisiteur ou en consolé. Year of No Light apporte sa lumière dans le néant.
« Objurgation » ouvre un vortex vers le Moyen Âge. Ce terme désigne une remontrance, une mise en garde d’un tiers envers autrui avec pour objectif de le dissuader de mener à bien ses projets. Une forme de spiritualité rejoint la montée en puissance du titre, s’étalant sur plus de douze minutes. Les tonalités sont basses, lourdes et aériennes. Tout ce que peut créer le groupe peut être représenté par ce titre. Une fois le riff en tête et les nappes de claviers insinuées dans votre imaginaire, vous serez devant ces Parfaits qui vous jugent. Qui décident si oui ou non, votre vie vaut la peine de mourir. L’évocation est très puissante.
Pour gagner ce droit de mourir sans crainte, il y a la force de l’« Alétheia ». Cela indique et donne le droit aux ministres de la secte le pouvoir d’affirmation ou de négation. En d’autres termes, si vous êtes oui ou non consolable. Il y a un certain paradoxe si on réfléchit. Pourquoi demander à des hommes de donner la permission ou non de mourir en prêché ? La conviction est la plus intime des décisions. L’intimité, justement, cette notion que Year Of No Light aborde avec ce riff presque pop dans son approche, mais pourtant si chargé de questionnement interne et personnel. J’ai eu la chance de l’écouter en live en 2019 lors de leur passage à Bruxelles (M4). Le mot « démentiel » est même trop pauvre pour le décrire. Ajoutez à cela ce jeu de lumières, comme si ce ministre en posant ses mains sur votre tête pour décider de votre mortalité de l’âme faisait naître les larmes de la repentance à vos yeux. Titre le plus court, mais le plus direct et percutant. L’accélération est comme une petite mort.
« Interdit aux vivants, aux morts et aux chiens » donne cette fois la parole à ces ministres, les décideurs de mort ou non. Le rythme est adapté en conséquence avec un riff martial et inquisiteur. Lourdeur d’entrée de jeu, lenteur inquiétante et séisme émotionnel s’entrechoquent. Les sensations se dématérialisent, bien que jamais matérielles pourtant. Cataclysme sonore dans la seconde moitié du morceau. La mort en est presque trop douce. « Réalgar » se concentre cette fois sur l’artwork et cette forme étrange. Un réalgar est un rubis aux cristaux prismatiques, c’est-à-dire polygonales et chacune des faces reliées aux autres par réflexion. Cela rejoint l’idée de pouvoir se reconnaître dans le visage d’un autre si on le prend philosophiquement. Un autre qui comme soi, va aussi connaître la mort. La mort à plusieurs ferait-elle moins peur ? Dans le son, cela se traduit par une lamentation mélancolique et mélodique, comme une scène jouée devant les seigneurs de l’existence terrestre. De nouveau, un sublime morceau illustré en plus par ce clip saisissant, sorti il y a déjà quelques semaines. Envoûtant et dramatique, le destin semble ne pas vouloir se plier à la logique, la seule qui nous est imposée en tant qu’être respirant: quitter sa peau.
Enfin, « Came » peut être vu sous deux aspects. Son aspect physique et mécanique. La came est une pièce permettant le mouvement d’une autre en mécanique. Ce qui nous rapproche de l’opus est le fait de pouvoir lui imprimer un mouvement alternatif, répétitif mais pas toujours le même (oui, j’avoue là, faut me suivre, je suis bien défoncé). Soit son aspect drogue et religieux, à savoir la religion, l’opium du peuple, qui aide à t’endormir sans douleur ni crainte. Cela se traduit par une ambiance glauque et angoissante. Comme un bad trip en phase terminale sur les terminaisons nerveuses. Comme un ministre ayant pris sa décision sur un consolé ou non. Je disais plus haut que la mort peut faire moins peur à plusieurs. Mais si la drogue et/ou la psychose vous accompagne, vous n’aurez pas besoin d’autre compagnie. La psychose sera d’ailleurs le ressenti sur le final, aux teintes presque black metal. Décidément, la mort n’est pas une douceur qui s’appréhende tout compte fait…
Comme vous l’aurez compris, cette nouvelle fournée du groupe hexagonal distribuée par LE label Pelagic Records demande, requiert même, de la patience pour en toucher toute sa splendeur. En surface, elle semble être du Year Of No Light. En immersion complète, on est plongé dans un monde de peur, d’angoisse et de questions incessantes. Pourtant la seule qui nous importe vraiment se résume à ce consolamentum. Sommes-nous prêts à assumer notre vie ou la remettre dans les mains d’autrui ? Au travers de leur pensée dénuée de parole, les membres de Year Of No Light nous invitent à la réflexion personnelle. Un album qui traversera les années, les décennies et les milliers de morts qui se sont produites durant la lecture de ces mots.
Bonne écoute
- Tiph