Nous avons eu l’occasion d’organiser une interview en visio avec Jeremie, membre de Emptiness. Le groupe belge a récemment sorti, sous Season of Mist, un nouvel album intitulé Vide. Et quel album! Voici donc la retranscription de cette conversation que j’espère, vous apprécierez autant que nous avons apprécié sa réalisation. Et si vous voulez vous immerger dans l’univers du groupe, lancez l’album ci-dessous et profitez du voyage.
Guillaume – Chez NMH, on aime beaucoup ce que vous faites, bien que je vous connaisse un peu moins que Tiph. Donc, je vous ai découverts un peu plus avec ce nouvel album, que je trouve incroyablement bien réalisé, immersif, angoissant même. Donc, déjà un grand merci de nous accorder cette interview.
Jeremie – Pareil (avec un grand sourire), content d’être là. Je suis toujours content de parler d’Emptiness en fait. C’est le truc qui vraiment, me motive dans la vie. Tout tourne un peu autour de ça.
Tiph – Tu es membre du groupe depuis le départ et le membre créateur d’Emptiness ?
J – Oui. Créateur avec Olivier, qui réalise aussi les artworks. Nous sommes les deux membres fondateurs et également les deux seuls qui restent.
T – Vous êtes déjà des vieux mine de rien alors… ? (avec un sourire bien entendu)
J – Oui, oui les cheveux poussent et ils sont blancs (il nous montre la sagesse dans sa mèche). Cela fait plus de vingt ans, Emptiness. Vingt-deux, vingt-trois, un truc comme ça. Une folie !
T – Et ce qui est génial, c’est qu’il y a une évolution très particulière. Cela me fait un peu penser à des groupes comme Ulver. Vous êtes partis d’un black/death vraiment bien mais, petit à petit, au fur et à mesure des albums, la violence s’est mutée en quelque chose d’autre. Cet « autre », tu le définis comment ?
J – Je pense que cela tourne un peu autour du nom du groupe. C’est essayer de le rendre adéquat, mérité pour un nom pareil. Ce n’était pas spécialement par la violence, nous avons dû trouver notre style en réalité. Cela s’est fait assez naturellement et nous essayons d’atteindre toujours un peu plus ce ressenti, à ce qui nous raccroche à ce nom « Emptiness ». Ce que nous évoque le vide, ce vide qui est l’univers entier. Ce qui est le tout et le rien. On estime que c’est la manière la plus aboutie dans notre monde de fonctionnement.
T – Dejà là Guillaume, on a une phrase. « Le Tout et le Rien », tout est dit *rire*. Non, sincèrement, c’est aussi un peu le sentiment que l’album m’a apporté. Pour ma part, je vous ai vraiment découvert avec Nothing But The Whole. Cet album était la transition parfaite entre les deux univers. Il y a eu Not For Music en 2017 et désormais il y a Vide. Est-ce un album compliqué de base ? De mon point de vue, cela semble hyper complexe, mais a-t-il été compliqué à créer ?
J – Oui, nous sommes conscients que c’est un opus compliqué à comprendre, mais aussi nous-mêmes à comprendre ce que l’on fait. Cependant, dans la manière de faire, ce fut un pur plaisir ! Ça s’est fait assez naturellement et ce fut un travail énorme. On a tout fait nous-mêmes, ce n’est pas juste une question de compositions. Cela va jusqu’aux cotés son, production, l’image, avoir un contrôle sur tout. On est très content comme ça, cela donne un sens à nos vies d’atteindre cet objectif ultime.
J’avais un peu cette idée de faire un album très renfermé, qui sonnerait comme mon appartement
Jeremie
Attention, tout n’est sans doute pas parfait. Mais ce fut vraiment chouette à faire. On ne savait même pas vraiment si nous faisions du Emptiness au départ. Nous étions en pause, on avait juste envie de se mettre dans de chouettes circonstances entre nous, entre potes… et j’avais un peu cette idée de faire un album très renfermé, qui sonnerait comme mon appartement, j’avais cette idée de faire quelque chose qui sonnerait comme l’univers enfermé dans une toute petite boite. Et donc, toutes nos reverbs, tout ce qui sonne vraiment planant, chaque son planant est vraiment enfermé. On est pas dans l’univers ! Nous sommes dans une pièce, clairement. Cela m’a fait triper directement. On garde toujours un peu cette image d’un vieillard qui ne sait plus trop bouger de chez lui mais qui possède un savoir incroyable, qui lui est impossible à partager. C’est un délire, une introspection, l’infini se trouve à l’intérieur d’une personne plutôt que dans ses extérieurs.
T – C’est d’ailleurs superbement bien traduit à travers les deux clips (« Vide », « Incomplet » et « Le mal est chez lui »). Perso, j’ai une petite préférence pour le second vu que je suis au moins aussi cinglés que vous ne l’êtes -désolé de te le dire et Guillaume insiste qu’il s’agit d’un compliment, totalement vrai- mais également effectivement, tu as cette impression de cloisonnement autour de l’album en lui-même.
J – Oui, en effet, « Le Mal est chez lui » est le premier morceau que l’on a fait, ce fut vraiment l’expérimentation pour tout l’album. Nous sommes partis d’improvisations, on a trouvé le truc. Ensuite de mon coté, j’ai déconstruit, découpé tout ça, j’ai fait ce morceau bizarroïde et mis les voix dessus. Je l’ai envoyé aux autres membres, presque honteux, sans savoir si c’était bien, c’était quoi le délire… et on a appris à aimer ce truc. Ce fut la base de tout. Cela nous plaisait l’idée du mal chez lui, le mal enfermé dans son propre corps, son corps enfermé dans cette pièce, cette pièce sur cette planète.
T – Tu peux même aller plus loin. Le mal est chez lui, cela peut être un cancer qui te ronge, un alzheimer. Et la concordance entre le rendu sonore de l’album -et d’ailleurs c’est marrant que tu dises que ce titre est à la base du reste- et son propos, vous avez formé un tout très compact. Est-ce qu’à un moment donné, vous n’avez pas eu peur d’être totalement incompris par le public ? De se trouver si profondément dans ce concept qui n’est propre qu’à vous ?
J – Si, à fond ! Par contre, l’album a été un plaisir à faire car on ne se posait aucune question. Alors que d’habitude en début de process d’un album d’Emptiness, on s’interroge et on sait qu’on va faire ça, ça et ça, etc. On compose, on va dans une certaine voie et on sait que cela va plaire à un certain public et on sait ce qu’on fait. Ici, Vide est une expérimentation totale et un vrai plaisir. C’est la base de l’art en fait ! Tu le fais vraiment par besoin…
T – Cela se ressent fort, effectivement.
J – C’était un besoin de « pas de compromis du tout ». Autant le créer fut un plaisir, autant devoir le montrer fut un véritable enfer, j’étais vraiment nerveux. Désormais je suis content, je vois que l’album est compris et je trouve ça assez incroyable. En balançant les morceaux, juste quelques extraits, c’est vraiment difficile de savoir c’est quoi le délire. Je savais qu’on allait s’en prendre plein la gueule, mais c’est génial. Là, on voit que le truc est compris, on ne reçoit que de bonnes critiques. Ce risque que l’on a pris, de faire en soi un album chiant… beh ce chiant est pour nous trop bon ! C’est complètement voulu. À chaque fois que l’on s’est demandé si on sortait de cette bulle ou pas, si l’on fait un truc un peu plus spectaculaire, la réponse était NON ! C’est vraiment le truc le plus déprimant du monde, mais on persiste !
T – Ce n’est pas pour te lécher le cul, mais je trouve pas que ce soit un album absolument chiant comme le fan de metal lambda pourrait peut-être l’envisager. Moi, je l’envisage comme un album très profond, très introspectif. On voit dans votre tête, on est dans le cervelet et on voit ce qu’il s’y passe. Montrer ton zizi comme ça, ça n’a pas été trop compliqué ? Parce que Not For Music tranchait déjà pas mal, mais là celui-ci est encore plus intime.
J – C’était horrible à montrer. Mais on a fait le pari que si l’on fait les choses pour la bonne raison, l’art de la bonne manière, et que cela reflète à 100 % ce que tu veux faire, sans compromis, alors on estime que c’est plein de charme, plein d’identité et nous espérions que la magie allait prendre de cette façon. Ce fut un risque énorme !
Ce risque que l’on a pris, de faire en soi un album chiant… beh ce chiant est pour nous trop bon !
Jeremie
T – Justement, c’est vraiment le ressenti aussi que j’ai eu, cette intégrité par rapport à l’album, le côté vrai de la chose.
G – Quand on crée quelque chose et que cela vient du cœur, c’est pire que de se foutre à poil. C’est la peau qu’on enlève donc je comprends totalement quand tu dis que ça a été une torture d’imaginer les réactions. Pour ma part, j’ai un sentiment ambivalent. Je le trouve à la fois très apaisant, donc je suis capable de faire quelque chose en même temps ou juste en l’écoutant et ressentir l’apaisement. Je suis aussi capable de lire en même temps, ce qui est assez rare chez moi avec ce genre de musique. Mais je le trouve aussi angoissant. Dès lors ma question est pourquoi avoir susurré ou murmuré le chant ? Cela apporte quelque chose de sensuel, mais aussi anxiogène.
J – En tout cas, je suis déjà content que tu dises qu’on peut l’écouter de deux manières. Que ce soit un truc qui passe seul derrière plutôt agréable. Mais si l’on fait attention à ce qu’il s’y passe, il y a plein de détails, plein de petits secrets. C’était ça le but du jeu, d’y apporter de la subtilité.
T – On a l’impression que les voix sont doublées, voire triplées.
J – C’est le cas ! Il y a un gros travail sur les voix. Il y a aussi cet aspect justement. Au fur et à mesure des albums, la voix s’est calmée avec la musique tout simplement parce que cela ne fonctionne pas ensemble. Je peux essayer de prendre ma plus grosse voix comme avant, mais cela ne fonctionne pas sur cette musique. C’était le seul moyen qui fonctionnait par rapport à mon mode de travail. Je ne suis pas un chanteur, je ne sais rien faire d’autre que ce que je fais là, de dire ces mots-là et de telle manière. Je leur rappelle toujours ça aux autres gars du groupe, quand je ne suis pas à l’aise à faire mon truc, je m’y oppose en leur disant que je sais pas faire ma gueule. Tu vois, je dois faire cette gueule en chantant (il mime son expression concentrée et effrayante) et pouvoir déployer mon énergie. Si je n’arrive pas à faire ça, j’estime que ce n’est pas bon.
Quant au fait de murmurer, cela rejoint ce que tu disais avec la musique. Tout semble gentil, mais en réalité, c’est menaçant. C’est même super sombre. C’est louche un gars qui fait ça pour résumer brièvement. Et tout ça sans que cela se remarque trop. Un gars qui gueule dans tous les sens genre « aaargh je suis un méchant ». Ouais bon okay, le type c’est un fou. Alors qu’à l’inverse, tu vas plus prendre au sérieux un gars qui va te dire des sales trucs dans l’oreille. Ça, ça fait peur !
T – Si tu as lu notre chronique, nous disons qu’Emptiness nous enseigne deux choses : qu’il ne faut pas forcément gueuler pour être dangereux et l’eau stagnante est la plus dangereuses des eaux. Votre album, c’est peut-être l’une des œuvres les plus violentes que j’ai écoutée ces derniers temps, même si elle n’y paraît pas. Je vais prendre l’exemple de ce texte absolument fabuleux « Ce beau visage qui brûle ». J’ai bien dû l’écouter vingt-cinq fois au casque. Tu parviens à donner à l’horreur quelque chose d’admirable via tes textes. C’est glauque, c’est malsain et tu lui donnes presque une teneur jazzy, charnelle et charmante (il semble gêné de tels compliments). Pour faire une comparaison très hasardeuse, on dirait une sorte de Chris Rea. Mais là où Chris Rea chante l’amour, tu chantes le sang, les intestins. Quand tu interprètes ça, t’attends-tu à une réaction positive des gens ? Ou au contraire tu es conscient du malaise que tu provoques ?
J – Je sais que je crée le malaise, c’est d’ailleurs le but de tout ça quelque part. Je suis surtout content quand on me fait part que l’album soit pris de cette manière. On a ce délire d’être le plus négatif plus possible mais d’une manière un peu classe. Enfin, pas vulgaire.
T – C’est vraiment très relevé, oui. N’ayons pas peur des mots, on est loin d’un Cannibal Corpse, du grindcore, des groupes qui vont super loin dans la description des choses. Alors que de votre coté, vous allez apporter des nuances, quelque part une certaine romance par rapport à la violence qui s’en dégage.
J – Et en fait pour le délire, ce qui ne sera sûrement pas compris, « Ce beau visage qui brûle », j’imaginais que c’était mon enterrement. C’est ce que j’y dis, les amis, la famille sont réunis. Maintenant que je te l’ai dit, tu vas entendre mes paroles d’ailleurs (grand sourire).
T – C’est sur, je vais être plus attentif et l’entendre d’une manière différente.
J – Je décris vraiment ce que je vois, l’action se déroule par phase, tout s’enchaîne très vite dans ce morceau. Il y ça, ensuite ça, etc. À chaque phrase, l’histoire avance. Et tout cela, en restant gentil, juste décrire. Mais la fin, c’est vraiment « je vous hanterai tous ».
T – C’est génial car on est obligé de le réécouter une seconde fois tout de suite après. Parce que tu te dis « c’est pas possible, j’ai l’impression de pas avoir entendu des choses. Ben en fait, non je ne les ai pas entendues ». Du coup, ça te met mal à l’aise. En parlant de malaise, Guillaume et moi en discutions un peu juste avant l’interview, le bébé sur la pochette… C’est un vrai ?
J – Non, ce n’est pas un vrai !
T – AAAAH MERDE (explosions de rire chez Guillaume aussi), j’étais persuadé que c’était un vrai, moi !!
J – En fait, nous sommes contents que les gens se posent la question. Qu’elle ait l’air aussi fausse que vraie et qu’il semble aussi mort que vivant. Et que ce doute existe.
T – C’est affreux, comme nous nous disions avec Guillaume, il y a la mise en scène avec l’essuie, c’est absolument génial. C’est super, vous avez des réactions par rapport à cette pochette très violente ?
J – Ah oui, quand même quelques-unes. Nous sommes assez surpris que les gens la trouvent violente, vraiment gore. Ça choque les gens.
T – Elle émet tout de même une certaine poésie. C’est violent, c’est pas beau, mais c’est pas juste du gore pour du gore.
G – C’est justement là que la magie se fait, c’est pas gore comme du Cannibal Corpse comme tu disais Tiph, tout est dans la suggestion. Il y a pas des têtes décapitées avec du sang partout. Non, c’est un bébé, on sait pas trop ce qu’il a et la suggestion rend l’image encore plus violente j’ai l’impression.
J – Je trouve que ça colle avec l’intention de l’album justement ! L’idée était de choquer genre « ben quoi les gars, c’est juste la vie »
T – il est quand même un peu bleu, ce bébé.
J – En fait, nous imaginions que l’album, ce sont différents moments de vie, peut-être dans une dimension qui n’est pas exactement la nôtre. Peut-être juste une dimension parallèle, très proche de la nôtre. Juste assez pour créer ce malaise et que l’on ait pas nos repères. Tout est familier, mais on est privé de ces repères. Quand l’album commence, on entend un respirateur. On s’imaginait une personne dans le coma, le texte peut être ses dernières pensées avant la mort. Ensuite, dans ces différents moments de vie, on entend des enfants, des trucs un peu cachés. Et à la fin de l’album, on entend ce bébé, ce nouveau-né qui pleure. Vraiment, la justification de la pochette était de montrer quelque chose de tout à fait naturel, mais qui perturbe déjà.
T – J’ai fait écouter votre album à ma compagne, qui n’est pas dans le milieu du metal… La première chose qui lui est venue, c’est le respirateur, dont on parle beaucoup en ce moment en Belgique… Qu’est-ce que ça t’inspire ce respirateur à part la suffocation ?
J – C’est ça, on voulait faire un album qui étouffe, cette idée est venue assez naturellement, ça me manquait dans ce morceau, quelque chose sur quoi rebondir et ça m’est venu comme ça. Et j’imagine que si cette idée est venue, c’est parce que ça colle avec ce qu’on essaie de faire ressentir. Se sentir enfermé… Enfermé dans son corps quoi, « ton corps est à l’abandon », c’est ce qu’on dit dedans et ça avait du sens d’aller mettre ce respirateur. Je trouve que ça pose directement l’ambiance, on va pas rigoler dans l’album !
J’aimerais bien voir ce que ça donne avec un casque dans le métro avec plein de gens en pleine journée je pense que ça peut être trop bien.
Jeremie
T – Je te rassure, elle a adoré l’album alors qu’a priori c’est pas vraiment le truc qu’elle aime bien. C’est vraiment bien calculé parce que ça met dans l’ambiance directement.
J – Pour rebondir là-dessus, pour moi c’est que le message est beaucoup plus profond, il y a une espèce de double signification aux choses. Je dirais que c’est l’art ultime, réussir à faire un truc qui peut plaire à des larges masses et qui n’est pas forcément dans un style de musique et tout en étant un peu négatif.
T – Je te rassure tu passeras quand même pas sur Fun Radio, hein ! *rire*
J – *rire* Un des buts ultimes… C’est ce que je vénère en tout cas, ce sont les gens qui arrivent à faire ça en fait, je sais pas si c’est spécialement ce qu’on essaie mais… Voilà.
T – Je préfère largement quelqu’un qui va s’exprimer pour lui-même que pour les autres. Je pense que c’est ça qui fait la différence, c’est que vous êtes partis de cette optique de vous exprimer vous-mêmes. D’ailleurs justement, la question qui va peut-être déranger. C’est uniquement parlé en français… pourquoi ? Alors que les autres étaient en anglais, là maintenant on y va dans ta langue natale. Est-ce que c’était un processus naturel ? Est-ce que ça a posé des problèmes ? Les autres albums ayant été toujours bien reçus en Flandre, subitement vous parlez en français, est-ce que tu n’as pas peur que ce soit un frein ?
J – C’est un peu comme toute la démarche, en fait. On fait pas de compromis, on essaie de faire le truc le plus vrai possible et c’était tout à fait naturel du coup d’aller faire ça en français. C’est aussi notre manière de composer, d’habitude on est un groupe qui compose de manière un peu plus cérébrale. Dans nos autres albums, on s’imaginait tout un voyage, on se dit « ok, là on dit ça, on met ça et on va dans cette direction-là ». Et ça, je voulais éviter, je voulais retrouver un truc un peu plus basique où on fait de la musique dans une situation où on prend le temps et avoir simplement des discussions entre nous, avec nos instruments.
T – Qu’est-ce qui s’est passé alors quand vous vous êtes dit cet album on le fait en français ? Parce que d’un point de vue international… Tu vois, moi je suis un baraki de Charleroi, je peux me gourer, mais est-ce qu’à un moment donné, le fait d’avoir l’anglais qui est fédérateur… Le fait de repasser au français n’est-il pas bloquant ?
J – En fait, c’était être le plus vrai possible, mais d’office on a eu peur. On s’est demandé ce qu’on était en train de faire, mais finalement ce n’était pas le choc ultime qu’on pensait que ça allait être auprès de l’audience. Dans la manière de faire, on était dans l’improvisation pour essayer de sortir un truc de nos tripes que d’habitude on faisait les choses cérébralement. Et le fait de le sortir en français était plus naturel, plus direct puisque c’est notre langue maternelle. Et donc ça allait avec notre manière de composer.
T – C’est génial, ça laisse une certaine forme de scepticisme par rapport à l’œuvre, parce que même si c’est en français je vais aller réécouter ça je ne sais pas combien de fois et ça aura toujours cette saveur particulière. Et comme disait Guillaume, l’avantage c’est qu’on peut aussi l’écouter en faisant plusieurs choses.
D’ailleurs j’ai fait l’expérience, (prend un air sombre et ironique) j’ai transgressé les règles du gouvernement, je suis allé faire un tour après les heures autorisées et j’ai écouté Vide sur l’autoroute et je peux te dire que c’était un moment tout simplement exquis.
J – Excellent !
T – A minuit et demi sur l’autoroute, presque vide, presque vide tu vois ! Et là ça prend une saveur sur l’autoroute…
J – Ouais, moi j’aimerais bien voir ce que ça donne avec un casque dans le métro avec plein de gens en pleine journée je pense que ça peut être trop bien.
T – Justement, ça reste des œuvres que tu peux manger à plusieurs sauces, donc félicitations. Et la suite, qu’est-ce que ça va donner ? Parce qu’en principe, à cette heure-ci, toi, Guillaume et moi on est censé être à droite à gauche dans les concerts et là, rien, quoi. Quel est le programme pour vous par la suite ?
J – En ce moment on est programmé au Roadburn, le Roadburn Redux. On a envie de faire ça bien donc pour nous l’objectif c’est de faire un concert, se retrouver tous ensemble, ce qui ne s’est pas beaucoup fait sur l’album. Moi j’étais là à toutes les étapes, mais c’était avec des personnes différentes et jamais tous ensemble. Donc se retrouver serait top. Donc là on a fait notre première répèt tous ensemble hier ! C’est un challenge, donc on a un peu la pression avec ça, on s’y prend un peu tard mais la promo de l’album aura pris pas mal de temps, j’ai fait beaucoup d’interviews et y’a beaucoup de choses à faire aussi, toutes ces vidéos, tous ces trucs… Je ne me suis pas ennuyé ces trois derniers mois où beaucoup de choses se sont passées. On est aussi annoncé au Botanique début avril (NDLR : reporté au 6 juin 2021).
G – Je voulais vous féliciter parce que j’étais vraiment surpris de recevoir votre promo via Season of Mist, ça doit être une fierté au sein du groupe, c’est un gros label, un gros distributeur.
J – Ouais, on est très content et très reconnaissant. J’aurais voulu voir leur tête quand on leur a envoyé l’album.
T – *rire* en français en plus !
J – Ouais, justement le patron de Season of Mist était ici à Bruxelles quelques jours après lui avoir envoyé l’album donc… Et il nous a dit « En fait c’est… c’est bizarre ! » avec une tête confuse. Mais autant il nous fait confiance en fait ! Parce que pour l’album d’avant c’était pareil ! Maintenant il se rend compte qu’en nous laissant faire on arrive à pousser certaines barrières et on arrive a être respectés en faisant ça donc j’espère que l’album va marcher suffisamment bien pour que eux s’y retrouvent aussi dans les ventes et qu’on puisse continuer comme ça. C’est chouette de pouvoir faire de la musique et de se dire qu’on va nous donner les moyens de nous prendre au sérieux. Si c’était un autre groupe qui envoie ça comme démo à un petit label, ils n’auraient jamais la même attention et ce serait pas pris autant au sérieux. Alors que là on se dit « comment un label pareil pour faire une erreur comme ça ? ».
Et nous c’est ce qu’on aime dans la musique, on adore les albums qui ne sont pas faciles d’écoute et quand je tombe amoureux d’un album, je le sais directement mais je ne l’aime pas directement.
T – C’est exactement le même principe qu’avec une femme ! Je te pose une question et si ça se trouve on en reparle en 2025… Comment pourrait évoluer Emptiness avec cette bombe silencieuse ?
J – En tout cas on a pas de plan, on ne sait pas encore où on va aller, on aime bien rebondir, on aime se réinventer. Faudra pas s’attendre à un album similaire, c’est un peu le seul truc qu’on peut se dire. Ce sera toujours le même genre de paroles, on sait ce qu’on doit garder, on sait ce qui fait notre identité. Mais notre identité c’est de surprendre aussi. J’imagine qu’on va se laisser un peu de temps de vivre d’autres trucs dans la vie et de s’inspirer de nouvelles choses pour avoir ce déclic. Je suis un peu comme ça, quand je fais quelque chose, je suis obsédé, cet album m’a complètement obsédé. Et quand je fais quelque chose, ça me prend toute mon énergie donc il faut vraiment que tout me montre que là, on y est et qu’on est en train de le faire.
T – Je ne doute pas que vous y arriverez. En tout cas merci pour l’interview que tu nous as accordée !
J – Merci de vous intéresser à ça, c’est vraiment chouette d’écrire là-dessus, j’ai adoré la review ! Un grand merci parce qu’il faut un peu d’effort et d’énergie pour essayer de comprendre tout ça et c’est un défi d’écrire à propos de tout ça.
T – En fait, c’est moi l’auteur de la review et ça a été quelque chose de naturel aussi, j’ai laissé exprimer mon ressenti par rapport à l’album. C’est ce genre d’album qui me fait vivre et qui me donne envie d’écrire.
J – C’était d’autant plus chouette de lire cette chronique qu’on a senti qu’on t’avait inspiré.
T – Sur NMH, la sensation doit primer sur l’exclusivité.
G – C’est ça, à la base quand j’ai créé la page Facebook c’était uniquement pour partager ce qui me faisait vibrer, et ça rejoint le fait qu’on n’écrit pas sur les albums qu’on n’aime pas.
J – En tout cas merci de vous intéresser à ce qu’on fait !
T – Que ça se passe bien pour vous !… Ah tiens, les concerts assis, t’en penses quoi ?
J – Ah ! Ben en fait, avec ce style d’album je trouverais ça surréaliste et ça me ferait rire. Mais en soit je ne peux pas dire que j’adore l’idée.
T – J’adorerais l’idée de vous voir jouer au centre d’une salle avec les gens assis tout autour qui ne font que vous entendre sans peut-être vous voir.
J – Ouais, ou une espèce de cabaret *rire*
T – Allez, bonne continuation à vous et j’espère vous voir assez vite !
J – Salut et merci beaucoup !
- Guillaume & Tiph