Xiu Xiu n’en est pas à sa première collaboration. Que ça soit pour un album entier où le groupe partage la vedette avec des artistes tels que Grouper, Merzbow ou Larsen ; ou le temps d’une morceau comme sur l’éclectique dernier album de HEALTH, l’aspiration à l’expérimentation de Jamie Stewart le fait côtoyer nombre d’artistes à première vue incompatibles avec sa palette musicale. De plus, même si Xiu Xiu reste un des secrets les mieux gardés de la scène musicale mondiale, le groupe, à coup d’excellent album sur excellent album, a acquis le respect et l’admiration de ses pairs.
Pourtant, ce nouvel OH NO est le premier d’une maintenant très conséquente discographie à être spécifiquement dédié aux duos. Si vous connaissez déjà Xiu Xiu, vous savez certainement à quel point sa musique peut être intime et poignante, à l’image de son créateur et de sa grande sensibilité. Lorsque le monde est subitement plongé dans la crise et que le maître mot devient « isolation », le quotidien d’un musicien habitué aux tournées, au contact avec son public et d’autres artistes, se voit démoli. Ajoutez à cela des amitiés et relations professionnelles rupturées, et l’étau mental de la dépression se serre un peu plus autour de Jamie Stewart. C’est de ces insondables abysses que Stewart voit la lumière lorsqu’il commence à recevoir des messages d’encouragement de ses fans, lui rappelant qu’eux aussi, s’ils ont touché le fond, ont été ramenés à la berge par la thérapie que peut provoquer l’écoute d’un album de Xiu Xiu.
C’est de ce contexte qu’est née l’idée de Jamie Stewart et Angelo Seo de s’adonner à la peu courante, mais maintenant évidente réalisation d’un album de duos. Il y a donc bien plus à entendre dans OH NO qu’une simple collection de morceaux. À la fois exutoire et occasion de collaborer avec d’excellents artistes, ce nouvel album est encore une facette de plus du prisme déjà étrangement complexe de sa discographie. Si des morceaux peuvent bien sûr rappeler Forget, Girl with a Basket of Fruit ou même Xiu Xiu plays Twin Peaks – pour ne citer que les plus récents -, l’identité sonique de l’oeuvre est nettement tranchée et distincte.
Certains des morceaux voient le duo explorer des sonorités et genres jusqu’alors non-répertoriés sur leur pourtant large toile musicale. Le premier single dévoilé, « A Bottle of Rum », en est un excellent exemple : cette collaboration avec Liz Harris, du projet solo Grouper, n’est pas une première, mais l’ambiance dream pop pourrait difficilement se démarquer davantage de la nervosité et l’excentricité de Girl with a Basket of Fruit. Les artistes invités vont bien évidemment teinter la musique de Xiu Xiu, mais nul doute que leur patte et talents de musiciens ne sont pas en reste. L’harmonie vocale de Jamie Stewart avec Halhey Fohr de Circuit des Yeux sur le morceau « The Grifters » est d’une beauté rare pour un artiste nous ayant habitué à de délicieuses dissonances. Sur « Fuzz Gong Fight », Angelo Seo, pourtant membre officielle du groupe, est créditée en featuring, probablement parce qu’elle contribue aussi au chant du morceau, aux monts et vallées sonores hypnotisants.
De tels moments sont éparpillés tout au long de OH NO, dont même les passages les plus minimalistes révèlent une attention irréprochable au détail et aux textures, souvent dues a des instruments assez peu commun auxquels le duo porte une affection visible. Une des pièces centrale de l’album, et certainement au contraste le plus saisissant, tellement elle est anxiogène, se révèle être la collaboration avec Chelsea Wolfe sur une reprise de « One Hundred Years » des légendes The Cure, îlot étrange et savamment placé sur l’oeuvre.
OH NO, une fois son écoute terminée, laissera l’auditeur sur un sentiment d’optimisme, malgré les thèmes durs des textes, qui abordent, sous les métaphores, l’isolation et la perte de contrôle. L’atmosphère dégagée est à prédominance positive, probablement même plus que les pourtant plus enthousiasmants Fabulous Muscles et Forget. Qu’une oeuvre aussi riche, fruit de la collaboration d’autant d’acteurs, puisse voir le jour dans des conditions si adverses, démontre de l’inébranlable résilience que l’homme possède lorsqu’il est accompagné d’une de ses plus magnifiques inventions, la musique.
- Anthony