Frappée de plein fouet par l’ouragan Corona, l’Italie est certainement l’un des pays européens les plus meurtris par ce désastre. Il faut que dire que, ayant la chance de côtoyer dans ma vie un bon nombre de personnes issues de l’immigration italienne, je peux affirmer que leur culture et leur caractère sont très forts, mais aussi peut démontrer une sensibilité extrême. Ce genre d’évènement laissera des traces partout sur son passage. Chacun y trouvera le moyen de soigner son mal. Pour les membres des deux formations Riah et Postvorta, cela passera par l’expression la plus violente de l’émotion. À travers un EP de trois morceaux dont un écrit en commun sous la contraction RIAHPSVRT, les musiciens apportent une pierre angulaire à l’univers post metal/ambient sludge d’un pays trop longtemps résumé à Lacuna Coil dans les merdias (le R n’est pas là par hasard).
Avant l’écoute, je suis déjà sous le charme de l’artwork. Ceux qui me lisent régulièrement le savent : j’aime soit quand c’est hyper détaillé, soit quand cela va à l’essentiel. Dans ce cas présent, j’ai trouvé mon compte dans une sorte de mélange subtil des deux. Cette chouette à trois yeux tenant sa proie dans son bec rappelle un peu cet aspect « peste », le rat en étant le vecteur principal quand la maladie existait encore. Les couleurs sont choisies avec éclat et parcimonie sur un fond blanc qui fait exploser tous les détails au regard. La chouette tient également une mâchoire entre ses griffes. L’idée de lacération va parfaitement se refléter dans le son.
C’est Riah qui ouvre avec « Epidermide », composition instrumentale assez progressive dans l’approche, mais avec un mixage sur la basse très puissant, conférant à l’instrument une place prépondérante et une ambiance sludge. Les amateurs de lourdeurs à la Tool ou Isis, pour ne citer qu’eux, vont apprécier. Le riff prend vite aux tripes et nettoie les graisses stagnantes des intestins. Ce morceau aurait pu accueillir la voix stratosphérique d’un Aaron Turner par exemple. Je vous conseille vivement de vous pencher sur leur premier opus Autumnalia, il en vaut le détour.
Vient ensuite « Hollow » de Postvorta. Le groupe est loin d’être inconnu dans les pages de NMH puisque nous avions, en 2020, publié deux chroniques sur Porrima et Sidereal Pt.I à travers une histoire dystopique, que m’avait été fortement inspirée par l’écoute de ces chefs d’œuvres, pourtant aux antipodes stylistiques l’un de l’autre. Porrima, un pavé doom sludge, Sidereal Pt.I, une immersion sludge ambiante aux accents post rock et électronique. Je ne peux également que vous conseiller de les écouter tous les deux. À la suite l’un de l’autre, c’est encore mieux. Le temps, ça se prend, ne l’oubliez pas.
Certes, il m’est difficile d’être totalement objectif car je suis la carrière de Postvorta depuis longtemps, mais « Hollow » est, à mon sens, l’un de leurs meilleurs titres à ce jour. L’intro s’imbrique parfaitement avec la fin de « Epidermide » sur un riff annonciateur de violence émotionnelle et cathartique. Aux premières secondes, j’ai pensé « Church of Ra », « Amenra ». J’ai pensé « écrasement », « poésie », « Celeste » en observant ce magistral clip. Englué dans une sorte de romantisme et de violence artistique aux symbolismes assez contemporains de notre monde, cette vidéo est à elle seule, une peinture, une fresque à double voire triple sens. Je vous laisse admirer ses onze minutes étouffantes. On a le sentiment qu’il ne s’y passe rien et tout en même temps.
Si nous avons assisté à la démonstration de force, c’est maintenant l’atmosphère qui va prendre le relai pour nous empêcher de respirer. L’éponyme « riahpstvrt » s’étend sur seize minutes pour un voyage aérien, mélancolique et vent contraire des deux premières compositions. Plus ambiancés et jouant sur une ambivalence entre univers doux et malsain, Riah et Postvorta posent là les bases de plus qu’une simple collaboration. C’est un subtil mélange des influences de l’un sur les structures de l’autre. À contrario, cela ne ressemble pas à ce que l’un et l’autre font chacun de leur côté. Cela donne une nouvelle forme à étudier plusieurs fois. On succombe à son charme dès la première écoute, cependant. Les dernières minutes demandent de l’attention. Je vous conseille de l’écouter au casque pour en saisir chacune des nuances. Comme mentionné dans le titre, nous allons en savoir un peu plus sur cette chouette et la souris qu’elle a mise à mort.
Certes, un EP mais trente-deux minutes de son. Certes, deux groupes pas forcément avares des premières marches de magazine mais deux groupes sincères et concernés. Certes, pas un album mais un univers quand même qui prend sa place. Certes, on ne peut savoir s’ils réitèreront l’exercice à un moment ou à un autre mais Riahpstvrt en tant que groupe fait déjà partie des grosses sorties de 2021, tant dans ses compositions que dans son visuel. Ruez-vous sur Bandcamp et commandez le vinyle de cette bombe en suspension dans l’air.
Bonne écoute
- Tiph