Ne s’imposer aucune limite voire même les franchir. Les repousser. Peindre une scène dans l’imaginaire de l’auditeur, lui rappeler son passé, son présent, son futur et son non-futur. Explorer le son dans ses méandres et trouver la note introuvable. Du moins, si elle existe, ou a existé, la renouveler, se l’approprier pour lui apporter une nouvelle sensation, une nouvelle teinte. Une nouvelle identité. ÂGE ⱡ TOTAL nous invite à nous élever quelque part entre le doom que l’on connaît et celui qu’on voudrait découvrir.
Derrière ce pseudonyme et cette calligraphie des plus étranges se cache une collaboration entre deux groupes hexagonaux à la fois proche dans les univers et pourtant aux antipodes l’un de l’autre dans l’approche musicale. Donc avant de me plonger dans l’œuvre, je me suis replongé dans les albums respectifs de chacun. Là où Greyfell, premier cité et que je connaissais pour avoir failli les faire jouer à Tamines, excelle dans le doom « plus classique » (je n’aime pas trop ce terme, il me paraît péjoratif), Endless Floods (dont j’ignorais l’existence par contre) de son côté apporte un soin tout particulier à l’atmosphère de ses compositions, engendrant des morceaux assez longs, mais parfaitement dosés et imaginatifs. Apportez à cela les couleurs de deux artistes Anne-Laure Labaste et Théo Ribeton et vous obtenez donc ÂGE ⱡ TOTAL. Quatre morceaux pour se présenter, quatre morceaux pour s’imposer, quatre morceaux pour déjà, oui, aux côtés des dieux Pink Floyd, Year Of No Light, Monolord, Neurosis ou encore Bongripper, se ranger et faire figure de valeur sûre.
Comme je le disais, nous avons affaire à un subtil mélange des influences des deux formations en y ajoutant des pointes de rock psychédélique et progressif pour amener une fraîcheur au genre. Les quinze minutes du titre « Armure » en ouverture vont à peu près résumer ce qui m’attend. Des claviers lents et ambiants décrivent une ellipse vers le ciel et désigne que la situation va se dérouler très haut dans la stratosphère comme dans un Endless Floods. Il y règne une aura floydienne quand l’orage subitement éclate. Et là, c’est toute la modernité d’un riff écrasant de Greyfell qui prend le relais. Le corps part en apesanteur comme dans une bulle sous vide. Parvenir à mêler doom mélodique avec une puissance pareille n’est pas forcément chose aisée. Le groupe (appelons-le comme tel, c’est plus cohérent que collaboration) semble pourtant survoler cette difficulté sans problème. La troisième partie du morceau sera la synthèse parfaite entre les deux groupes. De là, j’en déduis une possible explication du nom du projet. Comme si cette expérience était une somme des idées des uns combinées à celles des autres, qui se compte en années.
S’enchaîne ensuite un interlude « Carré » de quatre minutes (tiens donc, le chiffre IV revient souvent dans la trame, non?) où la raison déraille entre délires fantasmagoriques, religieux et spatio-temporels. Comme si 2021 tournait à l’envers, où la respiration semble inversée et la gravité circulaire. Je marche dans un anneau de Möbius, lequel me déposera sur « Metal ». Tyrannie douce approchant les huit minutes (tiens, tiens, quatre multiplié par deux?) et lorgnant sur des influences comme celles de Monolord ou Pallbearer. La fin nous emmène dans un coin où Year Of No Light nous a précédemment emmenés, mais qu’on redécouvre avec un ardeur perdue et ça fait vraiment du bien.
Il reste de nouveau une quinzaine de minutes sur « The Songbird », preuve encore une fois que le sujet se déroule très haut dans le ciel. Le chant résonne comme un prêtre dans une église. D’ailleurs, des cloches vont faire écho après un solo absolument prenant et presque chamanique. L’intensité va atteindre son paroxysme avant de s’éteindre lentement, comme un bruit qui ne veut pas mourir. La complexité en sous-couches semble très travaillée et il me tâte d’écouter cet album au casque.
ÂGE ⱡ TOTAL balance enfin une véritable bombe dans le paysage 2021, très calme jusqu’à présent dans l’ensemble des releases françaises (veuillez m’excuser si l’une ou l’autre aurait pu m’échapper entre-temps ou sous l’afflux de demandes d’articles important). Le groupe impose sa marque et son style en se servant de ses héritages musicaux et expérimentaux pour donner vie à un éponyme (sorti sur le label SOZA, de Rouen) qui va prendre de l’ampleur en vieillissant. Le visuel est pertinent avec son contenu : quelque de chose de sombre mais empli de lumières célestes, presque insondables. Une approche presque divine avec un message caché dans le ciel. Observez bien le centre de l’artwork et écoutez l’opus en même temps. Vous verrez, on délire après quelques minutes en concentrant toute son attention.
Bonne écoute.
- Tiph