Rien qu’au visuel, une partie de l’équation se dévoile à nos yeux. Partagé entre le sublime et l’anéanti, le paysage se révèle à la fois désertique et intouchable. À la fois plein, et vide. À la fois éclatant et sombre, froid et chaud. Si les ambivalences règnent dans cette splendide photo de la petite île volcanique de Lanzarote, au large de la côte ouest du continent africain, il est par contre indéniable que la musique ambiante créée par les synthés modulaires de Thamel prend un envol majestueux sur ce troisième opus. Et si vous ne le saviez pas : Thamel, c’est du belge s’il vous plaît.
.612 repousse les limites atmosphériques que l’artiste avait déjà pourtant repoussé sur le très réussi Prairie Blanche. Il faut avouer que les ambiances créées par la musique modulaire apportent un aspect presque documentarisé à l’univers de Jérôme Mardaga (oui, c’est bien le concepteur de l’énormissime Raid Aérien qui est aux commandes de ce projet) à travers Thamel. L’opus est sorti en vinyle et en format numérique en décembre dernier. J’ai mis un peu de temps à plonger dans le massif volcan du visuel. C’est toujours le cas avec le drone, mais il est encore plus significatif avec le modulaire qu’il faut pouvoir se poser pour apprécier le voyage sans bouger de son fauteuil. Car oui, Thamel est une véritable invitation au voyage de l’imagination, de la contemplation et de la relaxation la plus maximale possible.
Pour pouvoir donner un avis critique à .612, il fallait se replonger dans Duna et Prairie Blanche. Surtout Prairie Blanche dans mon ressenti, car il existe une sorte de connexion entre ces deux opus, qui n’ont pourtant que l’auteur en commun. Là où parfois Prairie Blanche se voulait plus expérimental (je pense à « Cheval Bleu » par exemple, de manière positive), ce nouvel album est une démonstration de maitrise du genre. « Dans la glace un oiseau » démarre en douceur avec une ambiance lumineuse où les notes s’entremêlent au fur et à mesure. On s’imagine rapidement dans ce paysage à Lanzarote, une brise de vent un peu fraiche, un peu inquiétante peut-être, derrière la couche principale. On marche vers les volcans en suivant cette « petite ligne mystérieuse », au son des nuages où orages et électromagnétisme se côtoient. Imaginez-vous au centre de la pochette quand l’intensité du morceau explose. On y ressent comme un froid qui parcourt les veines. Ce froid fait presque monter les larmes, sans qu’on sache trop pourquoi. La magnificence du spectacle tant musicale que visuelle n’y est pas pour rien.
Alors, on ferme les yeux. « Et il dormit 9 minutes » me happe littéralement, comme absorbé dans les ténèbres. Je suis peut-être le seul à y ressentir une certaine noirceur dans cet opus. À priori, il est assez lumineux, mais il y a cette invitation à se plonger dans le « plus loin que mes oreilles ne puissent entendre », j’y perçois une sorte de… oui, de ténèbres. Et cette impression va continuer de guider mon écouter sur « Au milieu des ruines extraordinaires ». L’ensemble reste gorgé d’une lumière mais est-elle si bienveillante ? L’une des couleurs les plus chaudes de notre Terre n’est-elle pas celle du Volcan ? Ce morceau est un point d’orgue à l’instant précis où je couche ces mots. C’est comme si je venais de franchir la montée menant au sommet du volcan sur la gauche du visuel. Ces ruines extraordinaires sont celle d’un monde éteint.
Ce qui d’ailleurs amène un lien avec le morceau suivant « Laissez-les dormir », plus lancinant et plus mélancolique. Imaginez la scène : après tant d’efforts, je suis enfin au pied du cratère de notre volcan. J’y ressens mille vies et un millier d’amour endormis dans les entrailles de cette montagne. Elles explorent les confins de la planète comme deux atomes se cherchent pour se pulvériser l’un à l’autre. Le moment possède une intensité si profonde que les mots ne suffisent plus à décrire la situation.
« Le soleil ne se couchait plus » annonce la fin de la journée mais pas la fin du voyage. L’ambiance se veut plus rassurante que dans le début d’album. Comme si on redescendait lentement car le sommet du volcan ne voulait pas être réveillé. Là-haut, c’est une part de nous-mêmes que nous avons découverte. Celle qui sait que si ce soleil vient un jour à ne plus se coucher, c’est que la fin des Temps aura bientôt sonné car il se rapprochera dangereusement de notre planète. C’est pourquoi « Ingénieurs du temps » prend pour moi un notion philosophique importante : le moment à vivre n’est pas demain, il n’est plus hier. Il est tout de suite, là, maintenant. Il y résonne une sorte de « synthèse » de ce que nous venons de vivre depuis le début de .612. D’ailleurs la synthèse à l’aide de synthétiseurs, c’est une pure logique en soi, non ? Ce morceau atteint de nouveau un niveau d’intensité extrême. Écrire en même temps qu’écouter m’est limite difficile. « Mange-machine » est cet écran noir sur lequel le générique de fin défile.
Lentement, assurément et inévitable. Intouchable. Infranchissable car on ne peut pas passer à travers l’écran. Mais on peut en revanche, s’imaginer au-delà et pourquoi pas dépasser tous les volcans du visuel pour aller voir ce qui se cache derrière ? L’intensité explose pour atteindre son troisième pic. Pour se terminer gracieusement.
Selon moi, .612 est le début de quelque chose et non la fin. C’est le début d’une véritable exploration musicale pour Thamel encore plus profonde. Si les deux premiers albums étaient déjà empreints d’une forme de grandiloquence, .612 les dépasse en proposant presque un scénario de post apocalypse, plongé entre le drame et l’atmosphérique chatoyant le million de couleurs différentes. J’ai eu beau chercher à quoi pouvait d’ailleurs correspondre ce .612. Là où parfois j’arrive à sortir une idée d’explication, même à côté de la plaque, je suis confronté ici à une énigme complète. Et je comprends que parfois dans la vie, tout ne s’explique pas. Mais se savoure et se vit. Exactement ce que ce très bel album de Thamel m’a laissé comme sensation. C’est désormais votre tour de grimper sur ce volcan.
Bonne écoute.
Tiph