2084. Si je suis toujours vivant à ce moment-là, j’aurai alors 97 ans. Ma fille, elle, en aura 69. Dans mon cas, avec le train de vie que je poursuis (et il faut bien le dire, mon handicap va aussi peser lourd dans la bataille), je crains que mes espérances d’y respirer encore à cet instant relèvent de la dystopie. Par contre, ma progéniture pourra peut-être me faire ce cadeau précieux: écouter cet opus démentiel d’Anderwelt le 1er janvier 2084, voir où en est et se trouve l’humanité pour me le souffler, me le conter de nouveau en observant les étoiles et les planètes, puisque je serai certainement quelque part par là, entre Jupiter et Saturne, voire au-delà de la Voie Lactée. Je me vois bien dans les alentours de Pluton cela dit. Norah, n’oublie pas s’il te plaît.
De dystopie, il en est justement question sur ce superbe opus des Autrichiens d’Anderwelt donc. Ceux-ci présentent cette année 2084 comme un avertissement à l’Humanité et la préviennent d’un danger. Ce danger que nous sommes en train de construire actuellement. Orwell n’a jamais été aussi près de nous et ce ne sont pas les treize minutes de « Plenty » qui m’en dissuaderont. Oscillant entre death-metal et Post Metal, Anderwelt installe son concept album avec des riffs puissants distillés sous une pluie acide, elle plante le décor et on rentre vite dans le trip. Les fans de Dark Tranquillity ou Insomnium ou des Italiens de Postvorta devraient vite trouver leur compte. C’est notamment ce qui fait la force de ce groupe : ce mélange subtil de death et de post qui va fonctionner et faire mouche.
Clairement, 2084 fait écho justement à 1984, ce roman écrit en 1948, sorti l’année suivante. Est-ce voulu ou non, mais il y a également ce roman d’un auteur algérien Boualem Sansal qui a écrit 2084 : la fin du monde, racontant l’histoire d’un monde avec un parti, une religion et une langue unique, monde dans lequel tout est beau, tout le monde il est gentil, mais chaque pensée est contrôlée. Je vous dis ça car le second morceau « True » m’a fait penser à cet aspect. Violent et agressif, ce titre sera accentué par « Luv », en troisième position sur le disque et qui prend une dimension titanesque, notamment grâce à la virtuosité d’un violon bien placé et foutant la chair de poule. La seconde partie de ce titre a arraché quelques larmes à mes yeux. La détresse et l’émotion se traduisant comme dans un livre avec la voix rugueuse et robotique de Phil Wintersberger.
Seulement quatre titres mais d’une intensité rare, l’opus se conclut sur un « Pax » débutant au piano/violon qui laisse vite place à ce quelque chose qui voyage entre death et post. La production est parfaite, elle permet une plongée au cœur de ce monde en mortes espérances et désillusions empiriques. Les textes sont prenants et transforment 2084 en un roman musical. Ou bien en journal de presse daté au 1er janvier 2084, que ma fille tient entre ses mains et se rend compte à quel point Anderwelt avait juste dans sa description de son monde. Retenez que les cinq dernières minutes de « Pax » sont simplement la véritable fin du monde. Je retiens de nouveau mon souffle à cette écoute. La cinquième…
J’avoue ne pas avoir regardé le clip. Je veux garder mon imaginaire, ma création à travers l’univers que Anderwelt m’a transmis via sa musique. Et puis, l’artwork m’a suffit comme image pour créer mon ressenti. Anderwelt se traduit par « Autre Monde » en français. Les Autrichiens signent avec ce second opus une œuvre monumentale qui plie le temps telle la théorie de la relativité générale d’Einstein. Ils ont créé une courbure temporelle qui m’a transporté 64 ans plus tard. Et même si ce monde semble bien ce que nous ne souhaitons pas qu’il devienne, il m’a permis de m’imaginer aux côtés de mon enfant, à observer Jupiter, Saturne et Pluton. Et qui sait, de m’évader de cet autre monde en sa compagnie…
Bonne écoute.
- Tiph