Lorsque la ou une malédiction frappe, l’être humain a tendance à vouloir soit comprendre le pourquoi soit la combattre, aux moyens d’artefacts, relevant le plus souvent de la spiritualité ou du hasard que de faits vérifiés et acquis. Beaucoup de ces artefacts sont passés dans notre langage courant sans que nous en connaissions la réelle origine. Prenons l’exemple du trèfle à (trois) quatre feuilles que le trio français de Maudits a choisi d’arborer sur l’artwork de son premier opus.
Alors que les Grecs le considéraient comme renfermant un poison mortel, les naturalistes romains lui avaient trouvé des vertus médicinales contre les morsures de serpent et possédant même des vertus de philtres d’amour. Vous pouvez donc être sûr que quelques Romaines ont dû en bouffer sous toutes les formes voire plus. Mais c’est un peu plus tard que l’artefact la plus connue et restée de nos jours lui sera attribuée. Car selon les chrétiens, posséder un trèfle est une chose mais un trèfle à quatre feuilles, c’est la symbolisation même de la chance via la quatrième feuille (les trois autres représentant respectivement l’espérance, la foi et la charité). Dans la nature, on estime qu’il y a un trèfle à quatre feuilles pour dix milles trèfles à trois feuilles. C’est dire sa rareté. Il en est de même pour les groupes exceptionnels. Maudits en fait déjà indéniablement partie.
Dès lors, en sachant tout cela, l’interprétation du sobre mais très propre visuel laisse libre cours à plusieurs sens. La chance s’est-elle échappée ? D’où la malédiction s’est abattue. Ou bien a-t-on voulu forcer la chance là où elle n’était pas censée se trouver ? Et bien souvent, la chance forcée se retourne contre celui qui l’a invoquée. Les membres du groupes vont nous entraîner dans notre propre réflexion pour répondre à ses questions via une musique à la fois complexe, prenante, originale et alambiquée. En témoigne le massif éponyme « Maudits » de plus treize minutes et définit parfaitement le son du groupe. Un subtil mélange de post metal avec du progressif et des teintes d’atmosphère qui nuancent le propos. Les violons, par exemple, font la différence et on ne les voit vraiment pas venir. Le travail sur la basse est démentiel. Jugez-en par vous-mêmes. A mon sens, Maudits représente la meilleure appellation de post progressif.
On sombre ensuite sur « Resilience » (dont la signification est la capacité de rebondir pour aller plus haut encore) qui se réclame plus progressif et rentre-dedans. Mais de nouveau, la basse rend un coté colossal immense, quelque chose qui nous plonge vraiment dans nos abysses. L’atmosphère au casque est comme si un vaisseau vous visait en plein cœur. Un vaisseau sanguin de votre corps. Maudits aime jouer avec nos nerfs en freinant sa compo à mi-chemin. Pour terminer en force. Résilient en somme.
« Liminal » voit le groupe collaborer avec Dehn Sora (OVTRENOIR, Throane, Treha Sektori). Le trio travaillant chacun de leur coté avec le ténébreux artistes sur ses divers projets apporte grâce à lui, une teinte drone à son image et crée une sorte d’interlude aux allures noise. Bien imbriqué d’ailleurs car on se laisse complètement éteindre pat l’ambiance semi acoustique, drone, sombre, douce et inquiétante. Autant de sensations en un seul morceau, c’est donc possible. Et bien que le leitmotiv de Maudits soit de surprendre, « Grain Blanc » rappelle quand même à l’auditeur que le progressif reste le premier amour, celui qu’on oublie jamais. Si ce n’est qu’un riff presque black et une double pédale vous explosent en pleine face sans rien voir venir. La suite se révèle presque…enchanteresse. Une fois les deux images en compression, on s’imagine dans un tunnel qui tourner sur lui-même sans fin. Une nouvelle fois, je me laisse prendre de court par le groupe. Le solo, les violons qui viennent s’ajouter, l’accélération de fin. Bref, ce morceau est parfait d’un point de vue instrumental, émotionnel et évocateur. Cela me ramène vraiment à tout ce questionnement en début de chronique.
Le temps passe vite mais les compositions ne s’augmentent malheureusement, me voici déjà sur « Solace » avant-dernière piste de l’opus. Comme son nom l’indique, quelque chose de solaire s’en échappe. Une mélancolie douce avec ces claviers et cette guitare acoustique, ces cordes en harmonie. Est-il possible d’être si cohérent et si diversifié à la fois ? En un seul et même opus, d’autant plus. J’ai pour habitude de vous raconter des histoires avec les albums que j’écoute. Ce soir, je me laisse porter juste par ce qui parvient à mers oreilles. Le final se produit sur « Verloren Strijd » (traduisez « Bataille Perdue » et non, même pas eu besoin de google translate). Comme si Maudits voulaient nous montrer vers quoi pourrait évoluer leur son, ce titre tire plus sur le doom sludge. Bizarrement, le ressenti que j’en ai est qu’il ouvre sur quelque chose de neuf encore, comme un indice de ce que le groupe nous réserve dans le futur. Le présage d’une malédiction à s’abattre ? Encore plus lourde et plus époustouflante ?
Un tel album révèle une grande ambition. Une grande ambition implique beaucoup de travail, de don de soi et aussi un peu, soyons franc, de chance. La chance, Maudits a décidé de la mettre de son côté et de lui forcer la main, à la différence près que, dans leur cas, elle ne se retournera pas contre eux. Klonosphere a vu très juste en les signant chez eux, ils correspondent parfaitement à l’image de marque du grand label français. Avec un tel talent, je ne doute pas qu’ils arrivent à se hisser à très haut niveau et ce trèfle à trois feuilles du visuel ne nécessitera pas qu’on lui greffe ce quatrième pétale.
Bonne écoute.
- Tiph