Ces jours-ci, j’ai la chance d’expérimenter une autre partie de la recherche musicale : celle des One Man Band. Ces artistes qui conçoivent la musique seuls presque de A à Z en pratiquant tous les instruments eux-mêmes, écrivent leurs textes et donnent forme à leur créature dans leur antre. Si l’exercice semble assez courant dans le post rock, je ne suis pas sûr qu’il en est de même dans le domaine sludge, à quelques exceptions près. C’est donc avec un certain plaisir que je vous présente Adzes.
Adzes sort des ténèbres d’un certain Forest Bohrer qui propose un sludge à tendance atmosphérique avec des élans très hardcore en lorgnant parfois sur le doom sludge. Parfois, on est proche d’Isis, Old Man Gloom, parfois Godflesh ou Jesu (dans les deux cas Justin Broadrick) et parfois cela ressemble à du Mantar ou du Mastodon. Ce No One Wants To Speak About It est un album dérangeant, bousculant certains codes établis qu’il m’aura fallu un certain temps pour appréhender. Mais bon sang, une fois qu’on a pris le temps de faire connaissance avec l’opus, on ne le lâche plus.
Premièrement, ce visuel. Il est tout bonnement démentiel. Rempli de détails, on peut y passer des heures à l’observer et ce dans tous les sens. Il y a des phrases écrites à l’envers, certains dessins vont aussi dans des sens opposés. Pour tout vous dire, je l’ai imprimé pour mieux l’observer. Il y a beaucoup d’interprétations possibles. Cependant, aucune n’est vraiment joyeuse, nous en conviendrons, la tourmente est de mise. Le contenu proposé par l’artiste est en adéquation totale avec cette vision cauchemardesque dont personne ne veut en parler.
Les huit minutes de « Divide » plante le décor. C’est gras, c’est lourd, on ne fera pas dans la dentelle sur cet album. « Jesus Built My Death Squads » est dissonant, sale, malsain comme du Old Man Gloom. Et pourtant une certaine mélodie en ressort. Le cou en prend pour son grade. Mais sans crier gare ! Le pavé éponyme « No One Wants To Speak About It » nous explose en plein visage en s’approchant du punk hardcore chaotique et on s’y voit dans ce putain de circle pit (bordel que ça ferait du bien de se faire tabasser un bon coup dans un mosh, quelqu’un de chaud pour se foutre des pains ?).
On va ensuite descendre encore d’un ton sur le dantesque « 415 ». Plus doom, tu meurs mon gars. La méthamphétamine coule dans les veines, l’hallucination est tétanisante et c’est un démon qui s’adresse à nous. Certaines nuits, il faut de la douceur. Des nuits comme celle-ci réclament la haine extrême. Mais au moment où l’on pense sortir la tête de l’eau, « Demon-Haunted » nous secoue et nous décharne. La chair est à vif, le propos violent, le couteau aiguisé. On a même droit à un solo assez monstrueux. Je m’allume un … bordel, non pas d’incitation, mais vous avez compris. Le final de ce morceau est la véritable fin du monde.
Adzes va d’ailleurs nous surprendre sur les dernières compositions de cet effort (et il porte vraiment bien ce mot effort). « Overcome » tend vers un post rock insidieux, un peu noise avec un sample de la Nasa, comme si un observateur venait justement d’assister à la fin de toute chose, de la vie sur Terre et faisait son compte-rendu… Mais à qui ? À personne dans le vide, ce vide comme un monde post-apocalyptique se dessine seul, s’impose dans la narration.
« Loss » va par contre nous surprendre avec l’apparition du chant clair, assez proche de l’univers génial de Jesu. Le chant est très mélancolique avec une basse qui ronronne comme je les aime et de nouveau un excellent solo. Il nous reste alors huit minutes à déguster. Comme les huit premières de « Divide » d’ailleurs. Le titre évocateur « I Won’t Last Forever » est très clair. Rien sur Terre n’est immuable. Alors, le bon temps, on le prend, on ne le reporte pas. Ce titre sonne comme une épitaphe à propos de laquelle personne ne veut parler : notre propre épitaphe. Forest Bohrer va hurler la sienne et ses dernières tripes sur ce superbe morceau en guise de final.
Après un album d’un telle intensité, je souhaitais justement que l’on en parle de ce projet Adzes, qui vient tout simplement de m’envoyer une torgnole en pleine face. La capacité de son auteur a imaginé tout et reproduire ce que son imagination lui dicte est très impressionnante et ce premier album est une démonstration de force, très variée et pleine de sincérité dans sa démarche. C’est à la fois lancinant, violent, hypnotisant et excitant mais comme je vous le disais, il faut plusieurs écoutes pour l’appréhender. Ce No One Wants To Speak About It ne se laisse pas apprivoiser au premier regard. Il réclame du temps et de l’attention. Une fois adepte, comme je le suis, vous ne le lâcherez plus, au péril de votre santé mentale. Je vous conseille également sa reprise du tube « A Forest » de The Cure sur son bandcamp. Mais sa réinterprétation sludge vous surprendra certainement. Serious Gourmet Shit !!
Bonne écoute.
- Tiph