Dans les abysses musicales, se démarquer n’est pas toujours chose aisée. Entre tous les groupes qui ont le même son et ceux qui sont bateaux, il faut arriver à trouver le point qui attire l’oreille. Pour ma part, je la trouve dans mes lectures en écoutant des futurs opus à vous parler. Ou non. C’est selon. Pour le moment, je suis plongé dans le « Le Chuchoteur » de Donato Carrisi, un thriller très noir dans la lignée de Seven avec des meurtres atroces d’enfants, je n’irai pas plus loin dans le descriptif. À l’écoute de ce Procession, je prends conscience que l’ambiance développée par Unburnt aurait pu coller et être une bande originale de ce roman.
Et puis… Et puis j’ai vu l’artwork. Une photo dans une grotte avec un jeu de lumières si bien placé que l’on croirait voir une personne, un fantôme, une ombre d’un autre temps, d’une autre époque. Il n’en faut pas plus pour me faire délirer et me laisser emporter non seulement dans mon roman, mais aussi dans ce magistral opus, très sombre, viscéral et alambiqué tant il est diversifié dans son propos, tout en gardant sa cohérence, sa ligne de conduite.
Deux EP’s prometteurs, oscillant entre sludge et post metal aux accents parfois death type Gojira, Unburnt propose des compositions variées et parfois surprenantes, qui seront plus proches d’un excellent The Ocean pour ne citer qu’eux. Je ne serais pas étonné que l’écurie allemande Pelagic s’intéresse à eux dans le futur pour tout vous dire. Et ce Procession, il nous raconte quoi ? Et bien il nous raconte que du lourd.
Procession nous emmène loin sous Terre, dans ses tréfonds même, là où ce fantôme a rendu l’âme pour nous offrir ce spectacle. Plongé dans l’humidité et les pieds dans l’eau (tournure de phrase volontaire), « The Veil » résonne sur les parois de cette grotte abandonnée et oubliée du commun des mortels. Comment suis-je arrivé ici en fait ? Il fait froid et il ne semble pas y avoir de sortie. Des flashs explosent les parois sur les riffs gras et mid tempo. L’intermittence entre le noir absolu et ces quelques secondes de lumières froides sur cette voix posée et calme me rappelle Gojira, la grotte et ses parois résonnent sous les coups de caisses. Je dois trouver d’où vient cet assombrissant magma, il m’attire. Serait-ce sous l’eau ? Si je plonge, y-a-t-il un chemin ? Je dois le faire.
Deux minutes et vingt-et-une seconde plus tard, je resurgis dans une autre cavité, encore plus sombre, il y a plus d’air mais un autre détail attire mon attention. Les parois sont de sang et l’eau en est empreinte. Mon visage est rouge vif, un sang qui n’est mien. « BlackBlood » est signé sur la cavité et l’étouffement va débuter.
J’aperçois enfin mon geôlier, que je ne connais pas et il ne porte pas de visage mais la voix provient de cet être abstrait. Je ne panique pas non, il ne veut pas de mal au sens propre. Sa procession est intense et le rythme est soutenu. Cependant, mon geôlier est bien fait de chair et de sang, sa voix se fait plus posée pour me faire comprendre de le suivre. En replongeant dans l’eau, le temps perd sa course et les sons sont décuplés. Me voilà désormais absorbé dans un trou béant sous le chant rituel de mon prêcheur. Comment tout ceci s’est produit ? J’ai perdu mes souvenirs, je repars de rien. La basse est monstrueuse et englobante. Je ne bougerai plus jusqu’à ce que l’on me m’ordonne. Le solo me paralyse, la double pédale me lacère et m’écrase.
Et c’est sur « Rebirth » que mes yeux pourront enfin se ré-ouvrir. Un propos plus chamanique, plus ritualisé. La voix se veut menaçante mais pas violente. Une autre cavité de cette grotte avec cette fois en son centre, au milieu, un arbre immense. Cent mille mètres sous Terre. Sans soleil. Dans le sombre. C’est impossible et pourtant il est là devant mes yeux. Il y a comme des ombres pendues à cet arbre gigantesque comme des suicidés par milliers. Mais en réalité, ce sont des stalactites comme celles du visuel. Humanisés mais glacés, avec un visage sans en être un, une attitude sans la vivre. Ce morceau qui résonne toujours dans la grotte est comme une invitation à prendre place à coté de ces anonymes par centaines, mon geôlier sans visage me montre la branche. Je n’ai pas le choix.
Il me faut deux minutes et six secondes pour l’atteindre, durant lesquelles je croises des démons, des fantômes glacés depuis la nuit des millénaires. Il ne reste plus d’eux que des cendres de glace. Il en est question sur « Remains » où la voix de cette ombre emprisonnée dans la glace traverse sa cellule immortelle pour me raconter comment sera scellé mon destin. Dans la violence et l’incompréhension. Je sens brièvement un glas dans mon pied droit. Il fusionne à la branche. Mes mains deviennent bleues et je sens ma température corporelle chuter drastiquement. Je l’ai toujours su en arrivant dans cette grotte que je ne sortirai pas vivant. Ou du moins pas mort non plus.
À cet instant, je ne bouge plus. Je ne me sens pas mal non. La sécurité de l’éternité m’entoure. Car dans cette procession, on ne meurt pas non. On se transforme. Mon geôlier, qui n’est plus mon geôlier d’ailleurs mais mon libérateur s’approche enfin de moi. Il entame « Obscure », toujours sans visage, une voix qui sort d’une ombre noire. L’ambiance est lourde et c’est comme si nous étions sous l’océan, nous y sommes certainement de toute manière. Et là se produit l’inattendu. Une fois mon âme et mon corps prisonniers, mon libérateur a soudain un visage : le mien. Il commence à s’élever dans l’air en devenant poussière noire et disparaissant en tombant dans l’eau de sang. Plus haut sur une autre branche, un corps emprisonné de glace soudain se détache. Sa glace fond et laisse place à un nouveau Geôlier, chanceux parmi les milliers en attente comme moi désormais, dont le visage sera celui du prochain à descendre dans cette grotte. Mais comment suis-je suis arrivé ici bon sang ? J’ai l’éternité pour le comprendre apparemment.
Cet premier effort des français de Unburnt est plus qu’un simple album. Il dégage une aura très puissante avec une ritualité et une identité forte. Inspirée de leurs pères, comme Gojira, Behemoth, Neuroris ou encore The Ocean, sans tomber dans le copier/coller mais en assumant les influences et les incorporant dans leur sludge viscéral. Ajoutez à cela, un artwork sublime, dans les tons qui me sont chers, vous obtenez une pierre philosophale avec année de création 2020. La suite, si le groupe continue dans cette voie, sortira un monstre un jour et je serai le premier à me battre le chroniquer en primeur absolue.
Bonne écoute
- Tiph