Le hasard fait parfois bien les choses. Tout récemment, j’ai écrit à propos des Polonais de Dopelord, statuant que la scène de ce pays est en pleine expansion. Eh bien sans le savoir, ma prochaine chronique repart encore de ce côté-là du monde, avec les hallucinants Andromeda Space Ritual. Et quand on parle de rituel de l’espace, croyez-moi on va s’envoyer en l’air très haut, dans les confins spatiaux bien au-delà des limites connues.
ASR, c’est du space rock psychédélique et électronique assez barré mais posé, réclamant beaucoup de temps et d’immersion de la part de l’auditeur. Des claviers, des synthés, des guitares, de l’atmosphère. On se pose, on s’installe confortablement dans son salon, on a un petit verre de ce que l’on aime déguster à l’aise. Et c’est parti pour la voûte céleste, voire bien au-delà. All Shades Of Perception est leur second opus en trois années. Si le premier posait les bases de l’exploration, ce nouvel album va nous emmener dans un espace inquiétant, mais pourtant éblouissant et peut-être pas aussi vide que nous pourrions l’imaginer. Ou du moins selon les perceptions de chacun.
Premièrement, ce visuel à la fois sobre, mais perturbant, attire mon attention. Cela ressemble à une écorce d’arbre, mais l’illusion d’optique peut jouer des tours. À certains endroits, on penserait voir des visages meurtris, des corps entassés les uns sur les autres. Cela a tout l’air d’une photo, le gros plan accentue cet aspect aliénant. Comme un corps étranger, des corps étrangers dans la peur, déformés par quelque chose venu du ciel, ou d’ailleurs, on ne sait pas. Une constellation également peut-être ? Si ASR nous emmenait si loin, suffisamment loin pour y croire ? Et si c’était ça toutes les nuances de la perception ? Toucher ce que l’on ne peut pas croire, voir ou entendre et se laisser absorber à mille années lumière.
On entame le voyage par un pavé dantesque de plus de quinze minutes : « Signs of the Unseen ». Synthés inquiétants, les barrières d’astéroïdes sont rapidement dépassées après Mars. Nous sommes dans l’inconnu total. Le Space Opéra peut réellement débuter. Le trip va s’étendre avec des notes de guitare spatiales, l’absence de pesanteur se fait jouissive. Nous venons de passer Jupiter, le spectacle est à couper le souffle. Va-t-on rencontrer une forme de vie ? Je ne le souhaite pas, je me sens si calme dans ce vaisseau. « Lazarus » crée une atmosphère à la 2001 : l’Odyssée de l’Espace. On se sent en sécurité et pourtant, nous n’avons aucune idée d’où nous nous trouvons. Où même si nous sommes seuls.
Des turbulences sont annoncées peu après Saturne sur « Relay », il faut rester prudent, les secousses sont plus virulentes. Çà et là, on croit apercevoir une forme de vie. Mais impossible de l’identifier. Serait-elle aussi méfiante que nous le sommes ? La basse ronronne pour nous rassurer. Neptune est désormais atteinte sur « Bullet Cluster ». Les confins s’approchent, Pluton est en vue, Neptune un souvenir nébuleux. Il nous reste 11 minutes avant de la dépasser en « Telepath ». On ne sait pas dans quoi on s’enfonce et durant tout notre périple, nous n’avons pas rencontré de forme de vie. L’exploration va se poursuivre. Le final du système solaire se réclame sans fin, à l’atmosphère ambivalente et dissonante. Nous sortons du spectre des radars, personne ne sait si un jour nous en reviendrons. Il est probable que nous ne reviendrons jamais.
All Shades of Perception est une œuvre déroutante, capable de vous faire voyager hors de la Terre en restant assis dans votre divan. L’album se déguste sur chaîne-Hifi, au calme pour en saisir toutes les nuances et tout le travail de fond. Au casque, c’est l’anévrisme assuré, l’overdose de sensations extrêmes qui vous guettent. Il m’a fallu deux jours pour écrire ce texte tant le son d’Andromeda Space Ritual est immersif. Plus vous écoutez et plus vous en percevez sa profondeur céleste. On s’en demande presque s’ils n’ont pas réellement vu ce qu’il y a au-delà de Pluton, quelque part par là.
Bonne écoute.
- Tiph