En français dans le texte, il est un peu difficile de s’imaginer que nous avons affaire à du post rock à la lecture du mot Gazelle(s). Là où pour nous francophone, le mot peut sembler fleur bleue, il évoque en anglais un sentiment de liberté totale et absolue. L’évasion la plus rapide et la direction choisie importe peu, tant que l’on fait ce que bon nous plait.
True Meridian est le second et nouvel album que les Américains proposent après un premier effort en 2017, le groupe ayant été fondé sur les cendres de This Patch Of Sky. Et bien que le nom du groupe puisse paraître peut-être étrange, cet album est de nouveau une preuve qu’il faut écouter avant de juger (un peu comme les excellents Maserati par exemple). Le contenu proposé est absolument fabuleux, sublime et complètement inattendu voire non suspecté.
Je reviens sur ce sentiment de liberté et d’évasion dont le son de Gazelle(s) n’est pas seul empreint, il en est l’essence la plus pure. True Meridian prend le pari de nous envoler sans bouger de notre chaise… Et le remporte haut la main ! Gazelle(s) propose un post rock à mi-chemin avec du math rock, dirigé par un violon dans ses mélodies. Derrière, les guitares grattent sévèrement et nous mène parfois dans des contrées inattendues du genre. Ainsi, il se produit une sorte d’ambivalence entre les parties violons et les autres instruments mais leur mariage rend une grandiloquence aérienne à merveille. Dans un tout autre registre, les fans de Lindsey Stirling pourraient y trouver une porte d’entrée, une très jolie ouverture sur le monde du post rock s’il n’y sont pas habitués ou éloignés.
Après une courte intro « Sunsent Into Dust », « Sad Cowboy » pose les bases en nous faisant frémir et hérisser les poils sur près de huit minutes. C’est transcendant comme il faut, c’est relaxant et à la fois électrisant. « Warparty » hausse l’allure et l’intensité en élevant la rythmique de fond. Dans le ciel, tout ne semble pas si calme, la sécurité n’existe pas apparemment. Les parties violons sont imparables et on ne résiste pas à l’envie de jouer le chef d’orchestre avec sa main. Le titre suivant « Death Hilarious » prouve que l’ambiance peut vite se dégrader en nous projetant dans un doom relativement lourd, toujours emmené par la grâce de ce violon. Je reviens dessus mais l’ambivalence entre les instruments en font un mixte harmonique. Le final de ce morceau rappellera de bons moments aux fans de SubRosa par exemple. “Of Them There Is No Memory” nous plonge dans une ambiance similaire au monde de la talentueuse Helen Money. À contrario, la gratte est mise en avant, un petit côté western à mon sens, ce qui est génial. Le groupe ne tombe pas dans le carcan où le violon est la seule source émotionnelle. Plus on avance dans l’opus, plus le ciel se noircit, les racines doom se réclament partie preneuse, la nuit reprend ce qui lui appartient mais la soirée n’a pas dit son dernier mot. La fin sera plus douce.
Vous le remarquez, je me laisse aller à la philosophie. Il faut l’écouter pour le comprendre. Je ne ressens aucune haine, aucune rage à expulser en écrivant ces mots, c’est trop rare. Alors je saisis l’instant sur « Ruffians » pour m’allonger et me laisser voguer quelque part, à mi-chemin entre le songe et ma démence (il est 6h24). Ce morceau passe également par de nombreuses émotions et propose une basse à l’avant plan sur une partie de la composition. Le rendu est gras, presque sludge à certains moments. À l’image de cette basse, c’est vibrant. Ce final…
Il reste alors quinze minutes de son, réparties sur deux plages. Elles vont résonner très haut. La première avec l’ajout en arrière-plan d’un accordéon mélancolique dans les premières notes sur « Clemency For The Heathen ». Discret mais apporte une profondeur supplémentaire à l’univers. Et pourtant derrière cet accordéon se cache une figure mythique, à savoir Krist Novoselic (Nirvana). Véritablement épatant qu’ils aient pu bénéficier de son expérience musicale. J’écris de matin mais c’est comme si la nuit retombait de nouveau sans que la journée n’ait pu exister. Le morceau est résolument plus math rock avec des pointes de post, avant un subit revirement de situation très lourd et dissonant. On ne comprend d’où cela vient, ni comment ni quand cela commence mais on le subit. On le subit en redemandant davantage. C’est comme si nous avions ressenti ce moment où Icare brûle ses ailes mais là c’est la nuit qui les a glacées. Mais la nuit, je reviens toujours à elle, se termine et laisse place à « Sunset Over Harvest », comme un écho à l’introduction, comme pour boucler la boucle et faire de ce True Meridian un tout, un ensemble cohérent, valsant, aérien, planant. Certaines parties raviront les inconditionnels des géniaux And So I Watch You From Afar.
47 minutes de pures sensations viennent de s’écouler, durant lesquelles toute une palette d’émotions hautes en couleur, nuancées les unes des autres, complexes, attirantes, lissées mais indomptables, travaillées et harmonieuses à merveille se sont entre-mêlées. Comme ce visuel en réalité, en adéquation avec le contenu de cet album. Visionnez l’extrait ci-dessus avec en prime, la réalisation graphique de la pochette. Ce qui parfois nous parait simple est bien plus complexe. Un peu comme le son de Gazelle(s). À ce jour et sans aucune prétention, je compte plus de quarante contributions en chroniques sur NMH, majoritairement sur des releases de cette année. Mon top dix 2020 personnel se dessine un peu et certains opus se démarquent. Ce True Meridian risque bien de figurer dans le haut de la liste. Sera-t-il dans la vôtre ?
Bonne écoute.
- Tiph