Illusoire. Irréel. Dévotion. L’approche la plus sensible et la plus subconsciente possible. Toucher au divin, toucher à quelque chose qui n’existe pas. Toutes ces notions s’appliquent à la musique que Jarboe crée depuis près de trente ans. Ce qui est bien dommage est que seul son travail avec Neurosis en 2003 a percé dans nos contrées pour le commun des mortels. Je l’avoue, moi-même sans cette collaboration, peut-être n’aurais-je pas eu vent de son travail. Et j’aurais manqué quelque chose.
Douzième album solo pour l’auteure compositrice américaine, qui expérimente à chaque opus, une facette précise de sa personne, de ce qui l’entoure, de ses émotions, ses perceptions et ses envies. Pour décrire son univers, imaginez un croisement entre celui de Chelsea Wolfe avec des sonorités plus proches de PJ Harvey, Lingua Ignota ou Pharmakon dans ses délires les plus froids, pour ne citer qu’elles. Les deux extraits que nous vous proposons devraient aussi effleurer les fans d’Amenra. Noirceur de l’âme ou reflet du monde ? Nous avons désormais 36 minutes pour s’en faire une idée. Mais nous serons dans le flou à la fin de ce superbe opus, comme la toupie à la fin d’Inception. Chacun s’en fera son concept. Illusory est plus qu’un concept. C’est une métaphore entre le rêve et l’irréel (oui, vous avez bien lu).
C’est tout du moins le ressenti que j’éprouve à l’écoute de l’éponyme « Illusory », qui nous plonge dans le vif du sujet, avec une ambiance qui n’est pas sans rappeler PJ Harvey. Jarboe a un timbre de voix très particulier, mêlant douceur et assurance tout en dégageant une détresse au-delà de tout symbole. Illusoire, Illusoire répète-t-elle plusieurs fois. Comme si l’espoir n’était plus qu’une option. Le combat serait-il déjà perdu d’avance ? Dans tous les cas, « Arrival » nous fera descendre d’un niveau dans l’obscurité. Pour vous situer, repensez à ce sublime EP acoustique d’Amenra avec les trois morceaux passés à l’envers. Comme si nous tournions en rond dans une pièce sans fenêtre. À moins que le sol ne soit la fenêtre ? L’écho nous répond seul (à nouveau, vous lisez bien). Il faut cracher sur le sol pour l’humidifier et creuser plus loin. Nous arrivons dans une « Cathedral ». Des chants font résonner les parois telle une église. Mais sans que l’on comprenne, tout est balayé et les profondeurs de la Terre sont plus proches du ciel que jamais. Mais le ciel n’a aucune couleur. Il est noir comme l’espace infini, humide comme l’océan et ambiant comme la mort. « Flight » est ainsi construit, ce morceau aurait été composé par Lingua Ignota, certains se seraient jetés dessus.
Bref, le voyage n’est pas terminé sur « Into the Arms of Sleep ». On exalte encore un peu plus la situation en faisant croire que le céleste est à portée de main. Il n’est pas, il ne l’a jamais été. Rien de tout cela ne s’est produit. Pourquoi ai-je écrit ça, moi ? Toujours est-il que nous sommes de l’autre côté sur « Nourish » sans savoir où nous nous trouvons. Sommes-nous morts ? Sommes-nous dans un autre univers ? il est probable que l’on soit mort dans un autre univers. Jarboe va tout de même nous offrir une porte de sortie sur « Man of Hate » avec un vrai texte, comme sur « Illusory ». Les textes sont peu présents au final, sur cet album. Cela leur confère une puissance presque dictatoriale. Mais si tout ceci n’avait été qu’une farce, une goutte de l’océan dans un verre d’eau, de la terre dans un pot de fleurs et si la porte n’était pas ouverte et que nous étions enfermés à jamais dans cette pièce sans fenêtre ?
Je vous le disais, cet album est telle une métaphore où le rêve se confond avec la réalité… irréelle. On se pose la question de savoir si oui ou non nous venons de vivre cette expérience incroyable, qui m’a personnellement, emmené très loin dans mon moi profond. J’en sors serein mais inquiet, calme mais oppressé, bien mais mal. Un album de nuit a pris vie dans ce jour. Et quel album !
- Tiph