Attention : Second monument en devenir.
Les Italiens de Postvorta sont de retour cette année avec leur Doom Sludge très noir, proche de ce qu’un Walk Through Fire pourrait proposer. Et cerise sur le gâteau, nous avons droit à deux albums sortis à deux mois d’intervalle. La plus grosse surprise réside dans le fait que ces deux opus sont en opposition absolument totale niveau stylistique, notamment lié au confinement. Ce confinement a eu un impact considérable en Italie, comme vous le savez. Dans une passade très nouvelliste, je vous propose donc de découvrir ces deux albums, pourtant si éloignés mais complémentaires, sous forme de deux petites histoires, inspirées très fortement par le cycle Le Passage de Justin Cronin, mais pas que. Je vous conseille d’ailleurs la lecture de ces trois bouquins, mais attention, on approche les 3500 pages et c’est assez dur à lire par moments, âmes sensibles s’abstenir. Ce Siderael Pt. One est une expérimentation mêlant dark ambient, drone, post-rock et une atmosphère à couper le souffle, très éloignée de ce que le groupe propose habituellement, mais n’en reste pas moins sombre. Quoi qu’une lueur d’espoir en jaillit. La mention Pt. One m’inspire qu’une seconde pourrait voir le jour. Je pourrai peut-être rebondir et proposer une suite, qui sait. Voici la suite et fin de ma nouvelle :
2068. Italie, Région Emilia Romagna, bord de mer adriatique. Agnese a bien grandi et est devenue une femme indépendante dans un monde qui court toujours à sa perte. La montée des eaux s’est calmée en direction du Nord de l’Italie. La Mer Adriatique a freiné sa course. D’autres endroits du globe, par contre, n’existent plus. Les trois quarts de l’Afrique, le Japon, la Chine, les Philippines et la Russie dans sa grand partie sont désormais sous eau. L’Europe centrale est toujours épargnée, mais il ne fait aucun doute que si l’Italie disparait, les eaux ravageront ensuite la Suisse, l’Autriche. La population mondiale se résume à quelques millions d’individus, entassés dans des bidonvilles sur les plus hauts gratte-ciels. Beaucoup ont émigré vers l’Europe, dans les endroits moins touchés. L’amassement a créé pandémie sur pandémie, violence et crimes atroces, avec, pour toile de fond, la survie. Des millions de morts au nom de la survie.
Ricardo a bien vieilli. Sur sa « Through 4K Lenses », il peut admirer la vie magnifique que sa fille lui a offerte. De superbes photos à chaque âge. Agnese est sa fille. Plus que d’adoption. Sans lui, elle ne serait plus là. Sans elle il n’aurait jamais eu un but dans sa vie. L’élever, la voir grandir et lui donner toutes les chances de survie. Bien que vaines, car tout humain est condamné. Ricardo tousse de plus en plus fort.
– Papa, tu dois essayer de rester le plus droit possible, tu le sais.
– Que feras-tu de mon cadavre le temps venu Agnese ?
Ce n’est pas la première fois qu’il lui pose cette question depuis ce jour, il y a quelques semaines, où tout a basculé. Elle déteste ce mot, cadavre.
Ce jour où après plus de vingt-huit ans sans un goutte de pluie, il se mit à pleuvoir à torrent. À raison, tous se cherchèrent un abri. Dans la hâte et les mouvements de foule, Ricardo poussa Agnese dans un abri de bus, leur ville étant l’un des derniers endroits sur Terre où les véhicules pouvaient encore exister, non loin de la mer. Pour un laps de temps presque déterminé. Il restait juste une place dans l’abri. Il a sacrifié sa vie pour elle en la poussant de force pour qu’elle soit le moins touchée possible. Elle l’a regardé à travers la vitre, se faire arroser d’une pluie certainement empoisonnée, paume contre paume à travers la vitre, les larmes de Ricardo se mêlant à la pluie. Les rares scientifiques encore en vie n’en étaient pas certains mais la pluie était bien contaminée.
– Tu ne réponds pas à ton vieux père ?
– Écoute « Viper », Papa, je l’ai composée pour toi. Ça te fera du bien. Et je ferai ce que tu voudras, tu le sais.
– Je suis fier de toi ma fille.
Il est mort quelques semaines plus tard, son organisme avait mieux encaissé le poison. Mais pas suffisamment. Ses dernières paroles à Agnese sont gravées dans sa mémoire.
– Écris-moi un album avec ton cœur, Agnese, quand je serai parti. Et dépose-le au-dessus du plus haut gratte-ciel imaginable dans cette ville. Je t’aime, ma chérie, mon enfant.
Comme si sa mort ne suffisait pas, la mer envahit les rues de la ville depuis quelques semaines également. Comme si toutes les larmes d’Agnese avait suffi à créer un tsunami. Les gens sont désormais confinés dans leurs immeubles à tout jamais. Certains des plus pauvres, condamnés à une mort plus dure encore que le virus aquatique. Les autres en sursis.
Au « Spoon », le bar de son immeuble où elle noie son chagrin, elle fait la connaissance d’Andrea et Mohamed. Les rescapés de Postvorta. Le groupe préféré de son père biologique. Elle connait leurs œuvres et veut rendre hommage à cet homme qui l’a élevé et donné un but dans sa vie.
– Il ne reste peut-être plus que quelques mois avant la fin de l’humanité, ça vous tente de laisser une trace de notre passage ?
Les deux comparses composent alors avec Agnese pour donner vie à la dernière œuvre de l’humanité si elle devait disparaitre demain. Elle aurait tant voulu donner à son père adoptif ce « Lunar » émouvant et ce « Fog and Concrete » qui lui assombrit toujours le cœur. Elle ne sait pas combien de temps il lui reste. La nature lui a donné une chance de voir plus loin. Sa région aurait dû couler plus tôt. Elle met ce temps à profit pour créer l’opus parfait.
Une fois terminé, il ne reste plus qu’à laisser la trace en sécurité. Les eaux montent de plus en plus et il faut se méfier des pluies. Avec l’aide de Mohamed et Andrea, elle parvient à se hisser sur le QG de la « Vasa Praevia Dispassion ». Ironie du sort et hasard étrange, la plus haute tour de la ville est celle de la société qui gère l’eau encore potable. Il ne reste plus qu’une usine de dépollution au monde. Sur le silo principal à côté de la tour, il est écrit « More than 10.000 » en référence au nombre de silos qu’il y restait il y a quelques années. Le groupe dépose la clé soigneusement dans un étui, comme une trace que l’humanité n’a pas fait que détruire tout autour d’elle. Qui sait, si les eaux arrêtent de monter après la mort du dernier humain sur Terre, cette sublime trace restera intacte pour longtemps, ainsi que tout l’amour qu’elle portera à son père jusque la fin de ses jours. À moins qu’un miracle ne survienne, elle connait la fin de son histoire. Mais les miracles sont faits pour se produire, non ?
- Tiph