Ce jour du 15 avril 2020 est pour moi un grand jour. Guillaume me donne l’opportunité d’interviewer un artiste belge dont j’apprécie énormément le travail : Jérôme Mardaga. Son album Raid Aérien est un pur concentré ambiant, de post rock et ce petit quelque chose en plus.
Petite anecdote marrante : en me préparant pour le live cam, je me suis préparé un café pour paraître « sérieux ». Notre bonhomme lui, a opté pour une bonne spéciale de son coté. Et il a tellement eu raison car nous avons eu une discussion à la fois instructive, culturelle, analytique, engagée et brassées d’anecdotes, tant lui que moi. On y parle de l’album, de sa carrière, des USA, de la scène belge, et de ma femme…
Interview retranscrite le plus fidèlement possible. Avec ça et là, mes émotions, mes pensées du moment. Pour pimenter.
Tiph (T) – Question bateau mais nécessaire pour lancer la discussion : Ce Raid Aérien est sorti sous ton nom à la ville et non ton patronyme. Quand on connait ta carrière cela a du sens, on est dans un trip très différent. Ça veut dire que ce Raid Aérien c’est vraiment toi, ton « moi intérieur » ?
Jérôme Mardaga (J) – Oui probablement c’est compliqué cette question du moi intérieur, mais oui il est plus proche et plus fidèle que les chansons que j’écrivais pour Jéronimo en fait oui. C’est pas si évident que ça à répondre, c’est une super bonne question en réalité (rires).
Ce qu’il se passe et j’y ai pensé hier justement, c’est que Raid Aérien, c’est un travail qui a été composition/enregistrement tout le bazar, ça a été fait entre l’automne 2015 et le printemps 2017, étalé sur cette période de temps là. Maintenant on est au printemps 2020, donc pour moi c’est loin (rires), parce qu’il y a eu énormément de choses entre temps, enfin quand je dis des choses, ce sont des projets musicaux très variés les uns des autres, qui se sont développés etc. Donc Raid Aérien, c’est déjà quelque chose d’assez ancien, à laquelle je ne pense plus jamais.
T – Ah bon ??
J – Oui parce que pendant cette période de compo/arrangement, tout était mêlé, tout se croisait tout le temps, mais au final oui c’est vrai que j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose qui était plus proche de mon moi intérieur oui.
T – Perso, c’est vraiment le sentiment que j’en ai eu. Déjà, on est dans des textes beaucoup plus introspectifs que ce que Jeronimo faisait, bien qu’il s’agisse en réalité d’une approche totalement différente, c’est aussi pour ça qu’on vous a contacté avec NMH, ça donne une nouvelle approche de l’artiste et de la personne. D’ailleurs, à ce sujet là, par rapport au fait de l’avoir sorti sous votre nom et pas sous le patronyme de Jeronimo, est-ce que ça a été un problème de le sortir d’un point de vue publicitaire ? Dans le sens où on part d’un patronyme connu et là c’est la personne qui choisit de dire « non je le sors sous mon nom ». Est-ce que cela n’a pas été trop difficile ?
J – Non, pas du tout parce que le projet Jeronimo, enfin si je peux l’appeler comme ça, était terminé. C’était après le dernier album qui s’appelait Zinzin, qui selon moi n’a pas vraiment apporté grand chose…. ouais je sais pas…
T – C’est vrai qu’il était encore différent des autres.
J – Oui j’en ai fait combien de Jeronimo encore ? (question qu’il se pose à lui-même) Quatre en fait ! Ils sont tous assez différents les uns des autres. Et Raid Aérien, c’est encore autre chose. Non, vraiment, ce chapitre là était clos, parce que … C’est difficile à exprimer, ce sont des choses qui évoluent sur de longues périodes et qui sont plutôt instinctives. Jeronimo, j’avais vraiment fait le tour, tant artistiquement et commercialement.
Disons qu’au départ de Jeronimo, en 2000/2001 par là, il y avait quand même derrière la volonté de plaire, de passer et jouer en radio et de faire un maximum de concerts, parce qu’à l’époque j’avais déjà dix ou douze ans de salle vide derrière moi avec d’autres projets. Donc c’était une époque tout à fait différente, j’en étais à un autre point dans ma vie à ce moment-là, c’était la trentaine je crois, c’était un peu le moment où jamais. Et en plus, le contexte à l’époque était propice à ça, c’est à dire que les radios ne nous méprisait pas comme elles le font aujourd’hui (T- à moi même : En tant qu’auditeur, je suis d’accord avec lui à 100 %). La presse, ben pareil. J’étais pas le seul, on était plein, les radios jouaient beaucoup d’artistes belges à cette époque. Et ça a fait partie d’un tout, une période, et cette période pour moi était vraiment cool. C’était vraiment très très chouette, un apprentissage, des tournées tout le temps, on vend des disques, on allait à l’étranger, on était fair-play, des clips sur MCM etc, donc super!
T – Ca me ramène super loin aussi tout ça (avec un large sourire mélancolique du passé)
J – Oui, c’était il y a vingt ans ! (Vu son sourire, ça lui rappelle de bonnes choses aussi je pense) Donc, on apprend énormément de choses grâce à ça. Et puis on apprend sur soi-même aussi. On se rend compte que tout compte fait, Jeronimo a fait partie d’une époque bien précise, qui n’existe plus. Et je n’avais pas du tout envie de continuer à jouer sur scène ces chansons-là, même si j’en reprends encore une qui a subsisté. Mais le reste, ce sont des choses que je n’ai absolument plus envie de jouer. Et si je les jouait, ce serait vraiment malhonnête de ma part. Ca ferait des concerts Best Of, et ça franchement, j’ai pas le temps. Le peu de temps qu’il m’est donné pour me produire sur scène, je préfère le consacrer à des choses nouvelles, inédites, qui semblent me correspondre mieux, plus risquées.
T – Il y a le fait d’évoluer dans la vie aussi, le fait de vieillir.
J- Ah oui mais il y a surtout le fait d’évoluer dans la vie oui !
T – C’est vraiment ça le constat, je me suis replongé dans les quatre albums. J’avais déjà préparé ma chronique pour le webzine avant l’interview. Et au début j’avais écrit qu’on saute d’une étape à l’autre. Mais quand on les réécoute, il y a vraiment quelque chose qui nous amène. Il y a des morceaux comme « Pour partir », « Maman si tu savais » au niveau du texte, des trucs comme ça, qui nous ont amené à ce Raid Aérien. Pour ma question suivante justement sur ce Raid Aérien, et je souhaite te paraphraser un petit peu : Est-ce que ce n’est pas trop compliqué de le défendre en live dans un pays qui est séparé par un grand mur, comme tu le disais à l’époque ?
J – Oui c’est compliqué par la nature du concert et de l’album. Nous, on se produit exclusivement avec des projections derrière nous, qui sont ininterrompues, c’est un spectacle, un concert très monochrome. Il n’y a que du noir et du blanc dans les éclairages. Cela impliquait donc que c’est impossible de jouer dans un festival à 15h, sur une scène en plein air, etc. Avec ce projet là, c’était le but, c’est un spectacle qui coûte cher aussi, je travaille uniquement avec des musiciens et techniciens professionnels dont c’est le métier. Donc je ne brade pas, le spectacle coûte un certain prix mais je tiens à rémunérer tout le monde de façon juste. Il était pas question de commencer à aller jouer pour 300 boules. Non ce concert a un certain prix et certaines conditions doivent être réunies pour que le concert puisse avoir lieu.
T – Mais techniquement si je te suis bien, le boss ça reste toi, sur scène ?
J – Oui mais bon, sans Olivier et Gaëtan, qui m’accompagnent sur scène, sans oublier Jérôme qui s’occupe de la régie, Jean-Charles Cremers est le maître d’œuvre du mixage et son assistant Lucas… le live c’est vraiment un ensemble, chaque élément, chaque personne est irremplaçable. Sans ça, ça s’effondre, ce ne serait pas possible. Je gagne la même chose que mes musiciens, je ne suis pas payé plus qu’eux, ça a toujours été un principe chez moi. Dans tous mes projets, je gagne la même chose. C’est très simple en fait, on a un cachet global, on enlève tous les frais fixes des techniciens, des ingé-son etc, et puis ce qui reste on le divise en trois, les trois personnes sur scène.
T – Est-ce que le secteur culturel est en demande ? Ou bien est-ce plutôt toi qui fais la démarche d’aller vers eux ?
J – Non, on a pas vraiment de demande non. Parce que c’est un album qui est compliqué, c’est très sombre. Le concert est encore plus sombre.
T – Ca m’étonne pas !
J- C’est pas un concert pour clapper dans les mains, pour ressortir plein d’énergie. En fait c’est tout l’inverse. Et c’est en français en plus, on comprend les paroles, il y a pas mal de textes qui sont incrustés dans les projections, et qui ne sont pas vraiment rasssurants. Mais bon, je considère qu’il y a de la place pour ce genre de musique aussi quoi. C’est du divertissement, mais autrement. Ça reste dans la case divertissement mais c’est pas les Gauff’ au suc (rires).
T – J’assiste à beaucoup de concerts niveau post-rock, post metal, etc, avec des univers qui sont un peu similaires au tien, avec à mon a vis beaucoup moins de moyens. Et je dois dire que ce que j’ai vu en vidéo et surtout ce que j’ai entendu, c’est très concret. Donc oui on est en français, mais on est dans un niveau introspectif vraiment très très important. Et ça c’est quelque chose qui vraiment différent par rapport à avant. Je suis désolé, je vais te donner un gros coup de vieux. Moi j’ai 33 ans, je suis ta carrière depuis « Ma femme trompe », qu’à l’époque je ne pouvais pas comprendre, que j’ai réécouté il y a pas longtemps et qui prend tout son sens maintenant. Tu avais des chansons beaucoup plus directes, avec des revendications, tu n’hésitais pas à parler de politique, de la royauté ou même des simples faits de la vie. Ici, justement avec le Raid Aérien, c’est quelque chose de plus introspectif, où on ne comprend pas forcément directement ce que tu veux dire. Et je trouve personnellement que c’est encore mieux. Il faut vraiment prendre le temps de l’écouter, de l’analyser le texte derrière. Est-ce que c’est simplement le fait de mûrir, de vieillir et de passer à autre chose ? Ou alors est-ce que, en 2020, dénoncer, dire tout haut ce que certains pensent tout bas, ça n’a plus vraiment de sens ? Le meilleur exemple, c’est « Le Nord, Le Sud et le grand mur » c’est une des plus marquantes, une des plus touchantes à l’époque. En 2020, cette chanson aurait-elle encore un sens ou est-ce pour ça que tu es parti dans une direction plus introspective ?
J – Non, non, je pense que ça aurait toujours tout son sens de le faire. Mais bon, je pense que certains textes sur Raid Aérien sont aussi « engagés », bien que je n’aime pas trop ce mot là mais bon, autant engagé que « Le Nord, le Sud et le grand mur » mais d’une autre façon. C’est beaucoup plus enterré, c’est beaucoup plus souterrain. Elles n’apparaissent pas, c’est moins slogan en réalité.
J’ai toujours bien aimé dans Jeronimo l’utilisation de phrases un peu choc. Un peu slogan, par moments même un peu slogan publicitaire. C’était une façon de faire que j’ai un peu… non que j’ai complètement laissé tomber. Mais je pense tout de même qu’il y a des chansons sur Raid Aérien qui sont clairement engagées . Mais c’est camouflé. Par exemple, une chanson qui est très simple, la chanson « Chien Noir ».
T- Ah justement on va en parler après.
J- C’est vrai qu’il n’y a que deux ou trois mots dedans. Mais il y a un message caché à la fin. À la fin de la chanson, il y a tout ce truc avec des voix à l’envers qui sont ralenties. C’est une phrase qui est normalement chantée à l’endroit, que j’ai mis à l’envers et ralentie. La phrase dit « Retourne dans ta cage ». Le chien noir, c’est clairement une allusion à la remontée du fascisme en Europe (Beh merde alors!!).
T – aaah… moi je l’avais pas perçu comme ça !
J – Beh on peut le percevoir comme on veut, le chien noir ça peut aussi être le cafard.
T – Moi, j’en ressentais la dépression
J – Oui c’est ça !!
T – Ca m’avait fort parlé car pour le moment, je vis des moments compliqués. Je ne sais pas pourquoi en particulier cette chanson-là, elle m’a touché. Je me suis donc renseigné et j’ai découvert que dans la culture britannique, le chien noir est le symbole de la dépression.
J – Le black dog !
T – Voilà, exactement ! Ça prend tout son sens, autant par l’ambiance que par le texte. Par contre, j’avais entendu cette phrase retournée, que je ne comprenais forcément pas. Je me disais « mais qu’est-ce qu’il dit bordel ». (Rires tous les deux). Et là franchement c’est génial.
J – Donc voilà ça peut être le cafard, ça peut aussi être un truc rampant et insidieux, comme le fascisme. Il y en a d’autres. Par exemple « Les filles de l’Ogre ». C’est vrai qu’on dirait que c’est un peu l’histoire du petit poucet. Mais ce conte peut justement faire écho à des choses beaucoup plus vastes et plus engagées. Pour moi « Les filles de l’Ogre », c’est l’Europe et les Etats-Unis. Les USA c’est l’Ogre, les filles c’est nous. C’est un système et un gouvernement épouvantable, et pourtant ils nous donnent à manger et on ne dit rien. Pour moi, ce titre est une espèce de métaphore de ce constat. « Raid Aérien », la chanson en elle-même est une chanson guerrière. Le thème de l’album de toute façon c’est la violence.
T – Justement, en parlant de violence, il y aura aussi la pochette dans les questions suivantes. Mais c’est marrant que tu mentionnes les USA car j’avais préparé une question personnelle : Est-ce que Dieu est vraiment américain ? (En référence à la reprise de David Bowie, qui se trouvait sur son premier album « Un monde sans moi »).
J – Oh je ne sais pas. Non je crois pas (rires)
T – Perso, je trouve qu’on est là maintenant. Ce texte a été écrit il y a plus de vingt ans et avait déjà beaucoup de sens, en a encore plus et tu pourrais même l’extrapoler plus sur l’Europe. Je ne vais pas te dire que je suis anti-Europe, mais il y a clairement un système qui a été copié-collé des deux cotés, qui font qu’on entre doucement dans un système similaire à l’Américanisme. Au final, est-ce que l’Américanisme existe-t-il toujours en tant que tel ? On est pas plus proche du mondialisme ?
J – Oui, le néo-libéralisme, on peut appeler ça comme ça. Une espèce de machine monstrueuse aveugle qui écrase tout. Je t’avoue que là-dessus, j’ai pas grand chose à dire parce que de toute façon ma… Je veux dire ma relation aux États-Unis est extrêmement ambiguë, avec ce pays, avec leurs gens. Parce que j’adore aller aux Etats-Unis (rires) !! J’y vais régulièrement, du moins j’y allais régulièrement.
T – Justement, je pense que ça te permet d’avoir un regard un peu plus critique que quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds.
J- Voilà ! Ici en janvier, on a enregistré un album avec un artiste de Denver. On est allé aussi par le passé enregistré là-bas. J’ai une espèce de connexion avec la ville de Denver et la scène musicale là-bas. On doit y retourner quand tout ceci sera terminé (pour rappel : nous sommes toujours en confinement au moment de cette interview), donc je ne sais pas trop, dans deux ans, quand les frontières seront ré-ouvertes. Donc, j’ai une espèce de relation contradictoire avec les USA puisqu’à chaque fois que j’y vais, je m’y sens très bien mais c’est toujours pour la musique considérée comme mon travail. Enfin si, à New York, je suis allé à New York flâner avec mon amoureuse (rires). Mais voilà, je suis un grand fan de musique rock’n roll et toutes ses dérivées. C’est une musique qui a été inventée par eux quand même. On serait tenté de leur pardonner beaucoup de choses pour ça.
T – Moi aussi, j’écoute énormément de groupes et un bon nombre d’entre eux viennent de là-bas. Il y a tellement de choses qui s’y passe. En revenant sur Raid Aérien maintenant, je te cite sur « 18 prénoms », ça m’a intrigué : « Le Roi est mort sans laisse d’héritier ».
J – Oui (rires) (le sentiment qu’il m’a senti venir sur ce coup là…)
T – Tu ne crois pas en Philippe? Ou bien est-ce une simple métaphore ? Ou bien est-ce que c’est quelque chose qui est venu comme ça ?
J – Euuuh non ce n’est pas du tout par rapport à Philippe (vide intersidéral dans ma tête). Que deviendrons-nous si subitement la royauté venait à s’arrêter ?
T – Ca m’a perturbé et je vais te dire pourquoi. À l’époque où tu l’as sorti en 2018 (sortie vinyle en 2019), en réalité et entre guillemets dans les grands noms de la royauté, beh en fait ils étaient 18 ou 19 quelque chose comme ça (un grand étonnement se lit sur son visage). Et du coup quand tu parles des 18 prénoms, tu pars dans un délire qui est très « toi », ça m’a d’ailleurs fait pensé à ton titre « tous les gens que tu aimes vont mourir un jour »
J – C’est ça !
T – Ce titre en est un peu la suite. Et ce « Roi est mort sans laissé d’héritier » ça m’a laissé perplexe, nous en avons même parlé avec Guillaume, on se demandait ce que tu voulais dire par là.
J – En fait c’est un peu le principe de mon écriture. Je procède pas mal par phrases. C’est curieux, j’ai un carnet là-bas (il me le montre à l’écran) dans lequel j’écris des phrases un peu au pif. Et ça ne veut absolument rien dire de spécial sur le moment. Ça doit être une phrase comme ça, qui n’a absolument aucun sens au moment où je l’écris et avec laquelle franchement je n’ai aucune idée de ce que je vais faire. Et puis le temps passe, ça se met ensemble comme une espèce de puzzle, ou quelque chose comme ça. Mais sur le moment, la plupart des phrases que j’écris ne tangue pas vers une signification. J’aime bien les phrases comme celle-là, justement par exemple. On attend la suite genre « Oui et alors ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite » (je confirme à 100 %!!!)
T – En plus, ça s’accélère, il faut vraiment écouter pour suivre la vie des personnages. C’est marrant, j’avais essayé d’extrapoler, mais Guillaume m’avait prévenu que parfois, les artistes ne savent pas toujours expliquer la signification d’une création. C’est plus l’auditeur qui lui donnera cette signification.
J – Oui! Le meilleur exemple sur Raid Aérien c’est « Neige Inconnue ». Si tu prends les phrases une à une, cela ne veut absolument rien dire du tout. Et c’est pareil, c’était le même processus d’écriture un peu aléatoire, enfin semi-aléatoire, semi-automatique. Mais une fois agencée dans un certain ordre, et ça prend des mois, et avec un environnement musical autour, accompagné d’un titre évidemment, des choses qu’on va répéter dans le texte sur lesquelles on va inciter, par exemple dans ce titre c’est « Les oiseaux nous espionnent », ça crée un sentiment. Genre « mais non les oiseaux ne peuvent pas nous espionner ». Et puis on y pense, même moi, et on se dit « ah beh oui je crois que ça parle de ça ».
Et « 18 prénoms », c’est une double liste, puisqu’à la moitié de la chanson, je reprends les prénoms cités et je continue l’histoire. Mais ce n’est jamais qu’une énumération de situations. Mais une fois mises ensemble, alors effectivement, peut-être que oui ça fait sens.
T – C’est marrant que tu expliques ça comme cela, j’écris moi-même des chansons et j’avais un processus pareil où je laissais exprimer un truc, sans lui mettre de nom. Et au final dans l’analyse, je me suis rendu compte que je parlais de l’Alzheimer. Mais quand tu le fais, tu sais pas. C’est inexplicable.
J – C’est ça ! Et de manière générale, c’est un peu le même procédé avec les notes, avec les rythmes. Je ne pose plus vraiment la question de savoir si ça a un sens ou pas. Sur le moment même, ça n’a pas vraiment d’importance. C’est plutôt après qu’on analyse ce qui fait sens ou pas. Contrairement à avant, à l’époque Jéronimo, j’étais vraiment énormément dans le contrôle permanent..
T – Tu laisses venir les choses.
J – Depuis que j’ai bossé sur d’autres choses entre temps, voilà il se passe du temps. Le parcours évolue, on bosse avec des tas de gens différents. C’est quelque chose que j’ai complètement renversé maintenant, il y a plus vraiment de « Pourquoi ce son là ? ». Je ne sais pas, c’était comme ça à ce moment-là. Peut-être qu’à un moment donné ça prendra sa place. Mais sur le moment même, j’essaye d’être assez libre. En général, ce qui sort, ces espèces de premières fois qu’on joue quelque chose, il y a un truc vraiment. Dès qu’on se met à le répéter et à le perfectionner, ça a tendance à s’étioler ou à s’améliorer. Maintenant, j’aime beaucoup les « premiers jets », le moment où ça apparait et on se dit « ah c’est beau » (rires)
T – Là c’est le fan qui te parle deux minutes. Raid Aérien, au niveau de tout ce que j’ai écouté de tous tes projets, je ne les connais pas tous. Mais je le vois peut-être comme l’accomplissement. Je l’ai écouté autant sur une chaîne hi-fi qu’au casque, il y a un travail derrière qui se passe, alors que l’oreille ne l’entend même pas, un travail de dingue a été réalisé. Et c’est le truc le plus cohérent qui soit. L’album est juste énorme. Il est fabuleux.
J – Je te remercie (un peu gêné non?). Ça s’est étalé sur deux ans de travail mais plus par bloc, entre coupé. Disons que parfois, je bossais quinze jours, ensuite j’arrêtais, ça n’a pas été deux ans non stop loin de là. Plutôt des blocs de travail, genre pendant quinze jours je ne fais que ça. Puis se passait un mois, puis peut-être une semaine. En tout pour tout, le travail doit avoir duré trois ou quatre mois. Peut-être un peu plus quand même. Très étalé.
Il y avait un truc particulier que je ressentais quand je travaillais dessus. Et dès le départ, c’est assez curieux, j’ai senti quelque chose. La première chanson qui a été enregistrée, c’était « Les filles de l’Orgre ». J’ai fait quelques essais avant et puis il y a eu celle-là et je me suis dit « ah oui celle-là !!! ». Et dès le départ, elle a un peu donné le ton pour le reste. Je sais que ça peut un peu paraître prétentieux, mais dès le début, j’ai senti que je tenais un truc un peu spécial (tu m’étonnes et t’as mille fois raison m’fi). En tout cas, dans la façon de construction de l’album, du comment ça se déroulait et la réflexion, les prises de son, etc … et même si il y a eu des moments très down, je me disait que j’étais probablement en train d’enregistrer quelque chose… grosso modo, je suis en train d’enregistrer mon meilleur travail. Et ce fut une sensation assez agréable, je ne sais pas si c’est le bon mot mais en tout cas, c’était là. Tout le long, tout le temps, du début à la fin. Même jusqu’à la dernière session, le jour où on a écouté le mastering dans le studio, lumière éteinte, la sono à fond la caisse, même ce moment-là, ça aura vraiment été spécial.
Et les concerts le sont aussi. Grosso modo, on joue 1h30 sans s’arrêter. Il n’y a pas de blanc entre les morceaux. On ne parle pas, tout est enchaîné.
T – Ca doit être terrible !
J – On dit bonjour, on joue 1h30 et puis on dit au revoir. Les projections ne s’arrêtent pas, les musiques non plus, tout est enchaîné. Il n’y a jamais vraiment de blanc.
T – Raid Aérien en live, ça doit vraiment être quelque chose de très intense.
J- Oui et pour nous-mêmes sur scène, ça l’est aussi. On en discute souvent après les concerts avec Gaëtan et Olivier, qui ne sont pas des lapins de six semaines comme on pourrait dire, qui ont aussi des projets musicaux et des carrières remarquables derrière eux. Ce concert a vraiment un truc, on se croirait dans un… C’est Gaëtan qui a dit ça, on a vraiment l’impression d’être dans un avion qui s’écrase.
T – C’est un peu le sentiment que j’ai eu en voyant les vidéos. Et pourtant, jamais une vidéo n’est capable de retranscrire ce que tu sens en live. Mais ça m’a vraiment donné l’impression du « on va au bout, on y va et tête baissée ».
J – Donc voilà, maintenant j’ai un peu de recul et je sais que… beh je sais que c’est mon album en fait oui. Il efface tous les autres. (Rires)
T – Mais est-ce que…
J – Peut-être pas le premier ! Un monde sans moi
T – Génial, tu m’as coupé (rires). Dans ma chronique, je dis que si on a suivi ta carrière, on se rend compte qu’il y a quand des traces de cet album en particulier.
J – Oui !
T – « Cet après-midi » par exemple.
J – Oui, par exemple voilà !
T – « Le frisson »
J – Oui c’est exact. « L’été inoubliable » qui est sur cet album Un monde sans moi est le seul titre qu’on joue encore sur scène.
T – Oui, tout a fait, il aurait bien pu faire partie de Raid Aérien.
J – Voilà, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on le joue toujours sur scène. C’est le seul qui est resté, parce qu’il cadre. C’est un album qui restera à part. Peut-être que c’était l’album que je rêvais de faire.
T – C’est le plus proche de Raid Aérien.
J – Oui ! Et c’est curieux car les avis sont unanimes. Bon, c’est vrai qu’il y a eu quelques fans vraiment nostalgiques de Jéronimo, qui m’ont dit que c’était vraiment pas bien. Je comprends qu’on puisse ne pas aimer cet album.
T – On perd et on gagne du public en fonction de ce qu’on fait. C’est d’office.
J – Voilà. Façon, peu m’importe. Ça a été un travail vraiment particulier, C’est un album qui m’est très cher pour ces raisons-là. Et c’est compliqué de lui donner une suite évidemment.
T – Merde, j’allais y venir (Rires). La collaboration, le single « Renards » avec Mélanie Isaac. Déjà, c’est… waw quoi ! Ça me rappelle L’imprudence de Bashung si tu l’as écouté ou pas ?
J – Oui, bien sûr, son album compliqué.
T – Beh ça part dans un truc comme ça, le texte est vraiment super beau. Et donc j’allais te demander, est-ce une suite de ce qui va arriver plus tard, est-ce qu’il y aura une suite à ça ou pas déjà ?
J – Oui, j’ai commencé à penser à la suite de Raid Aérien l’année passée en 2019. L’album devait être intitulé « Épidémie » et ce n’est pas une blague. (rires) (de nouveau, nous sommes confinés depuis déjà un mois) Et c’est pour ça d’ailleurs que le mot épidémie se retrouve dans la chanson « Renards ». Mais pour l’instant, tout ce que j’ai enregistré pour le moment, je ne retrouve pas ….
T – Ça viendra.
J – Ça viendra oui. J’y réfléchis beaucoup. J’y pense très souvent à cette suite. Il y en aura une. Mais le problème que j’ai rencontré quand j’ai commence à enregistrer des chansons pour la suite, c’est qu’on dirait Raid Aérien Numéro 2. Le son et tout c’est le même. Mais alors j’ai le sentiment de ne pas avancer. Et la sensation en le faisant n’est vraiment pas la même. C’est une espèce de carbone que je suis en train de faire et il me faut un truc qui me fasse vibrer plus. Je dois chercher un peu plus loin je ne dois pas appliquer la recette de Raid Aérien une seconde fois.
T – Cela reste cependant cohérent avec ce que tu as toujours proposé ceci dit. Même si les albums de Jéronimo était dans un même univers, ils sont à chaque fois un peu différents les uns des autres.
J – Donc il faut que je trouve et je trouverai. C’est juste que là, j’ai embrayé sur plein d’autres projets entre temps, qui ont eux-mêmes donné naissance à des albums et des tournées. Mais oui, cette suite, j’ y pense peut-être un jour sur deux. Là, j’ai enregistré une petite dizaine de nouveaux morceaux. Et il y en a un qui à mon avis verra le jour. Peut-être même bientôt (il me tease grrrr), un titre un peu à l’image de « Renards », un titre lâché comme ça.
T – Ce titre est vraiment une continuation de Raid Aérien, mais un peu différente. Et la voix de Mélanie Isaac, que je ne connaissais pas avant, se marie super bien à la tienne. Cela a du sens et je vois que tu apportes beaucoup d’importance à la cohérence et au sens, ce qui est … cohérent (bien vu l’aveugle -_-)
J – J’essaie. Je ne veux pas sortir des trucs pour occuper le terrain. (Rires). Cela ne m’intéresse pas trop non. J’ai jamais pensé que donner une suite à Raid Aérien serait facile. Il y a des jours où simplement je n’ai pas envie d’y toucher. Je pourrais m’arrêter là et faire autre chose. Je suis arrivé à ce que je voulais quelque part. Place à d’autres, à d’autres trucs. Et d’un autre coté, je me dis que je ne dois pas fermer la porte parce que tu ne trouves pas le bon angle pour le moment. « Remets toi au travail et tu n’es pas à l’abri de trouver une piste intéressante pour lui donner une suite qui sera parfaitement cohérente »
T – Et différente en même temps.
J – Voilà ! Mais je ne voudrai pas que la suite de Raid Aérien vienne ternir Raid Aérien. Pas qu’on se dise « eeeh… C’est quand même mieux Raid Aérien » (rires)
T – La pochette de cet album. Comme j’ai dit, elle est magnifique. C’est un bon gros bordel. Il y a des détails monstrueux, on peut passer deux heures à la regarder, on verra trente-huit sens différents. Elle a quelque chose de biblique. Que nous raconte-t-elle cette pochette ?
*Il cherche dans ses affaires pour la rependre. Il l’observe, en rit. Et moi aussi d’ailleurs. Il y réfléchit un long moment.*
T – Moi, elle m’a vraiment inspiré la guerre ! Les anges qui attaquent !
J – Oui c’est ça, c’est la guerre ! Je pense qu’il ne faut rien y voir d’autre. C’est…violent. C’est une expression de la violence.
T – Hyper agressif !
J – Oui, il y a des monstres, c’est monstrueux. Même les anges sont monstrueux.
T – J’ai essayé de trouver le chien noir. J’ai crû à un moment qu’il était là, on voit un espèce d’œil bizarre.
J – Il y en a un.
T – Ah il y en a un ? C’est un artiste qui a fait la pochette ?
J – aaah Tu sais pas d’où ça vient ?
T – Non, justement (attention Tiph moment instruction culturelle)
J – C’est une peinture du Moyen-Age, de Brueghel l’Ancien. (Beh merde alors!!!!) Donc c’est belge !
T – Aaaah génial ! Excellent même !!
J – C’est une peinture sur bois je pense, elle est exposée aux Beaux-Arts à Bruxelles. Elle date de 1500 et quelque chose.
T – Purée… (en fait je suis stupéfait de voir cet œuvre de 500 ans qui parait si… moderne). Tu la connaissais avant de faire l’album ?
J – Oui, d’ailleurs, est-ce que tu as le CD de « Mélodies Démolies » ?(son troisième album avec Jéronimo)
T – Oui, je l’ai celui-là.
J – Et bien si tu regardes dans le livret, l’ange ici au centre y apparaît. Ce livret est une espèce de scrapbook. (Note : Le scrapbooking, ou créacollage, collimage (francisations principalement utilisées au Québec), est une forme de loisir créatif consistant à introduire des photographies dans un décor en rapport avec le thème abordé, dans le but de les mettre en valeur par une présentation plus originale qu’un simple album photo – Wikipédia, merci frère). Et bien si mon souvenir est bon, le dessous de la toile apparaît. Pour illustrer la chanson « Bel Ange » je crois. Tu vois, ça fait partie des bonnes surprises. Je ne cherchais pas spécialement une pochette. Et puis je suis retombé sur cette peinture. Et j’ai l’idée d’écouter l’album en la regardant. Et voilà ça colle, c’est bon, ce sera ça. Et en plus ça cadrait très très bien avec le titre.
T – Ça m’a inspiré une attaque. Et c’est vraiment ce à quoi cet album me fait penser.
J – Le titre de la peinture c’est « La Chute des anges rebelles ». Donc c’est quand l’Archange Saint-Michel est descendu sur Terre pour mater les anges qui se rebellaient. Et il les a défait. (Fin du moment culturel, j’ai kiffé)
T – Alors, suivant, petit exercice. J’ai deux ou trois très petites questions et je ne veux qu’un seul et unique mot comme réponse.
Raid Aérien en un mot : Violence
Raid Aérien en une sensation : Froid
Qui d’autre que toi aurait pu composer et écrire Raid Aérien, ça peut être quelqu’un de connu, moins connu, mort, vivant, n’importe qui : Robert Smith (rires un peu hésitant ?;) ) (Le chanteur de The Cure, après un petit moment de réflexion et excellent choix)
T – Ah oui pas mal !
J – C’est une colle cette dernière question là !
T – Moi je serais parti sur Joy Division. On part dans le post punk et tout donc.
J – Oui c’est pareil.
T – Il y a un très bon revival du post punk pour l’instant, avec d’excellents groupes comme les Whispering Sons
J – Oui, exactement
T – Perso, je les trouve vraiment géniaux (Je vais me refaire leur excellent album juste après tiens!!). Tu écoutes quoi de bon ces temps-ci pour passer le temps ?
J – Pour l’instant, il y a un album sur lequel je reviens tout le temps. C’est un album d’artiste danois que j’aime beaucoup. Ah oui au fait je n’écoute pas de rock (je respecte !!!) ça fait déjà très longtemps. Ah voilà, c’est un album de Caspar Hesselager. L’album s’intitule 6 Synthesizer Performances. C’est de la musique électronique (J’ai écouté, c’est excellent, mais trop complexe pour que je l’inclue dans la semaine Spécial Danemark sur NMH sans une vraie analyse au préalable, c’est super riche. Je m’y pencherai pour une chronique plus tard) Je t’envoie le lien.
Je n’écoute quasiment exclusivement que de la musique électronique. Instrumentale. C’est une colle souvent, parce que quand on me demande ce que j’écoute, j’ai envie de répondre et puis je me dis, ça sert à rien tu connais pas (rires). (c’était le cas…).
Pour la plupart de mes écoutes, ce sont des artistes qui n’ont pas de contrat avec des maisons de disque, ne font pas de disque, ne font pas de promo. Moi je découvre beaucoup via Youtube et Bandcamp (là on est poto mec!!). J’ai arrêté le supermarché. Donc tout ce qui passe par les gros labels, ça ne m’intéresse plus du tout. Ce n’est que de la réclame, même si il y a probablement de très bonnes choses, j’ai abandonné tout ça. Je préfère la confidentialité et l’honnêteté. Je sais que ces artistes là, ils en ont rien à foutre. Ils font leur truc, ils proposent leur musique et souvent c’est presque gratuit.
T – C’est la beauté de Bandcamp ! Grâce à ça, tu peux découvrir des choses absolument fabuleuses.
J – La beauté de Bandcamp, oui ! Absolument.
T – Il y a quand même une scène underground belge très très riche. Bandcamp te permet justement d’aller plus loin. Tiens, tu connais le Dunk Festival ?
J – Oui c’est un nom qui me dit quelque chose.
T – C’est un festival centré sur des groupes qui ont un univers au moins parallèle au tien. Il y a du post rock, de l’instrumental et même de l’électronique. On y trouve beaucoup d’inspiration avec Guillaume là-bas. Ce que tu fais pourrait faire partie du trip du Dunk. C’est vraiment dommage qu’on soit séparé par ce grand mur. Tu ne trouves pas ? (Le Dunk se déroule en Flandre). La scène flamande, elle est immense, elle est énorme.
J – Oui !!
T – Les artistes wallons ne vont pas en Flandre (à de rares exceptions bien entendu) et les artistes flamands ne viennent pas spécialement non plus en Wallonie (même remarque forcément).
J – Moi, j’ai la chance maintenant d’y aller régulièrement avec d’autres projets. Sur deux projets en fait. L’un s’appelle Everyone Is Guilty, C’est inspiration Wovenhand, 16 Horsepower, tu connais ?
T – Tout à fait !!! (en fait non, pas du tout haha mais il ne le verra qu’à la lecture de cet interview, allez avoue Jérôme c’est drôle non? Blague à part, j’ai écouté c’est bien cool)
J – Ben on est là dedans. On a été produit par Dwight Pentacost (du Slim Cessna’s Auto Club) à Denver, là où on a enregistré et produit. En Wallonie on tourne pas. Mais en Flandre oui. Aux Pays Bas, En Allemagne. Là, pour le moment, on devait tourner là-bas d’ailleurs. Everyone Is Guilty n’est pas sur Spotify (m’en fous, j’aime pas Spotify NA!). C’est un projet très confidentiel mais on a fait une chiée de dates.
On va à Gand, à Anvers, et c’est plein ! On fait des petits de clubs de cent personnes. C’est sold-out à chaque fois. Et à chaque concert, on trouve deux autres concerts. Comme quoi c’est possible. Même pour des Wallons qui s’expriment très mal en néerlandais d’aller jour en Flandre.
Ici, récemment, avec une partie des membres de Everyone Is Guilty, on a monté un projet avec Slim Cessna (de Slim Cessna’s Auto Club), aussi de Denver, qui est venu en Belgique et avec lequel on a enregistré un album en janvier. Il devrait sortir en Allemagne chez Glitterhouse Records. Et c’est pareil, on a monté une petite tournée, mais tout s’est passé en Flandre. Notre tourneur est flamand, qui est plus centré dans les musiques Roots américaines, mais nous on a un coté un peu Post-Rock et Drone (intéressant ça…je vais creuser). Tout ça pour en revenir : c’est possible de le faire. Moi, franchement,c’est une de mes plus belles découvertes de ces deux dernières années, ce sont les scènes flamandes. On y voit un public pas du tout blasé. Quand tu vas jouer en Flandre, ils en ont rien à foutre que tu es wallon. Parce que ce genre de musique là est populaire là-bas. Et ils sont juste contents de venir te voir et t’applaudir, parce qu’ils te connaissaient pas. Il y a très très peu d’à priori là-bas. Oui, mes meilleurs souvenirs ces deux dernières années, ce sont des concerts dans le nord du pays.
T – Je suis tout le temps fourré en Flandre aussi. J’aime beaucoup le Drone et le Noise également. Tu ne peux pas en avoir en Wallonie pour ainsi dire, tout simplement pour plusieurs raisons. La première évidente : le public ne vient pas (parfois moi aussi, je l’avoue). Mais il y a un paradoxe. Le public ne vient pas, par contre en Flandre c’est plein. Et la moitié de la salle sera francophone (du vécu). C’est un truc de fou. Après, quand tu pars dans le Drone et le noise en Flandre, tu vas aller voir des groupes comme Amenra (il connaît bien entendu) par exemple. Beh là derrière, il y a toute une série de groupes qui jouent dans des beaucoup plus petites structures. Beh les salles sont pleines ! Tu dois faire jusque deux heures de route pour les voir. Tu ne comprends pas pourquoi ils ne viennent pas en Wallonie. Mais quand tu essaies de les faire jouer (je lui explique brièvement mon passé de booker), tu peux faire ce que tu veux, le Wallon il est un peu… « fainéant » (je sens le laser rouge sur ma poitrine). Enfin non. Le mot n’est pas bien choisi (c’est bon, me visez plus!!). Il n’a pas envie de découvrir voilà !
J – Peut-être, oui.. Je ne sais pas. J’ai un peu l’impression que le Wallon c’est un truc qu’il aimerait bien avoir cette culture. Et ça c’est purement anglo-saxon. Tous les styles musicaux qu’on évoque ici, c’est anglo-saxon, ça vient soit d’Angleterre ou autres, ça a été généré là-bas sous des formes différentes. Et les Flamands ont la culture anglo-saxonne bien plus en eux. En Wallonie, on est des espèces de Français ratés (ET PAF. Mais à nouveau, je suis d’accord avec lui).
T – Il y a aussi ce qu’on nous fait manger. En terme de culture de masse, on habitue pas nos oreilles à écouter des choses différentes.
J – Oui, mais non ça c’est… C’est foutu ça (je ne dirais pas mieux) en tout cas, chez nous, ça ne bougera pas. C’est râpé. Mais je pense que c’est à la fois … beh d’une part c’est parce que les décideurs ne veulent pas, ils ont pas envie mais je pense aussi que culturellement, les gens ne portent simplement pas ça en eux. Moi oui. On parlait de l’Amérique plus tôt, il n’y a rien à faire, il y a une fascination, c’est quelque chose qu’on porte en nous. C’est de la culture anglo-saxonne tout simplement.
T – Comme tu dis : c’est foutu.
J – Moi j’ai laissé tomber. Je m’en fous de passer à la radio maintenant. Et ça m’a fait énormément de bien. À l’époque de Jéronimo, je m’en foutais pas du tout parce qu’il fallait plaire, il fallait passer en radio, etc. Et heureusement, j’ai réussi à mettre ça derrière moi. Je me suis rendu compte que beaucoup de ces gens nous méprisent en réalité. Et ça se vérifie encore récemment avec ce que j’ai vu passer avec le soutien aux artistes, « s’il vous plaît la RTB, jouez les artistes locaux, etc »… ça s’est encore terminé par une humiliation mais cinglante genre « okay ça va mais de 5 à 6 heures du mat, vous êtes contents les enfants ? Foutez-nous la paix ». (décidément, nous partageons beaucoup d’opinions)
T – il y a eu un reportage sur Télésambre, dans l’émission « Rétro » qui datait de 2005, quand le Coliseum a ouvert.
J – Oui ! On a joué là-bas.
T – Coliseum qui aurait dû devenir un « Ancienne Belgique Bis ». Avec le recul ça avait tout pour plaire. Ça a été un fiasco total. Et le seul constat à la fin qu’ils en déduisent c’est « mais l’Eden voyons, tout va bien tout va bien ». Beh non tout ne va pas bien forcément à l’Eden. Oui la programmation est très bien à l’Eden de Charleroi, le centre culturel est puissant (je tiens à préciser que je ne méprise absolument pas le travail qui y est effectué mais je remets uniquement la conclusion du reportage en cause..) Mais on parle d’un lieu symbolique tel que le Coliseum, qui n’a pas fonctionné dans une ville comme Charleroi. Et comme tu dis, au niveau des décideurs, il y a quelque chose qui est mort.
J – Avant, c’était le genre de truc qui pouvait m’agacer profondément. Maintenant, je suis à vingt mille kilomètres de leurs décisions. J’en ai absolument rien à faire. Le temps a passé, et n’ai plus le temps ni d’énergie à consacrer à ça. Si ce n’est que d’essayer de proposer des albums et des concerts intéressants. Des trucs de qualité, bien faits et qui ne sont pas là que pour occuper le terrain. Ce que je reproche d’ailleurs souvent à pas mal de groupes et d’artistes, qui sont juste là pour qu’on les voie. On occupe le terrain quoi « Regarde j’ai fait un nouveau truc »… ouais tu aurais peut-être dû réfléchir un peu avant… Peu importe, c’est un peu mon coté péremptoire. Mais bon… je suis un ancien, j’ai le droit de calomnier un petit peu (rires).
Pour revenir à ça, Raid Aérien, c’était vraiment cette démarche de… C’est un peu mon album « Fuck off ». De toute façon, ça jouera nulle part et je vais en vendre 250. Et puis quelque part, cette espèce de lâché prise, ce bras d’honneur. Si je l’avais pas fait, j’aurais probablement pas pu bosser Raid Aérien. C’est aussi pour que Jeronimo « Allez Ciao », c’était associé à tout ça. Ça faisait partie de tout ce truc où il fallait les médias, les décideurs, les salles, les maisons de disque, ça formait un tout, une démarche, un ensemble et un contexte. Ça hérissait. J’y ai mis fin.
T – Franchement, dans la démarche c’est génial.
J – C’était vital et nécessaire.
T – Si tu n’avais pas fait ça, Raid Aérien n’aurait jamais existé.
J – Non. Et je serais vraiment devenu n’importe quoi. Artistiquement ça aurait pu vraiment mal tourner. Depuis lors, le nombre de projets se sont enchaînés et même des trucs auxquels j’aurais jamais pensé. Là ici, j’ai fait le mix pour un album de Jean De Lacoste avec Lee Ranaldo. J’aurais jamais pensé faire ce genre d’album dans ma carrière. C’est un Gantois, c’est le second album que je mixe pour lui. Sur le précédent, il jouait avec la violoncelliste Julia Kent. Un artiste avant-garde, assez drone avec des loops et des tas de trucs sur son instrument. Je pensais pas bosser pour un label anglais. Là, je vais probablement mixer des trucs pour SubRosa (OH!!!!). Toute une série de trucs comme ça, comme aller enregistrer à Denver, lier des amitiés avec des musiciens de là-bas, collaborer etc… Tout ça a pu se produire suite à ce lâcher-prise et une approche beaucoup plus libératrice de faire de la musique. Dès que je me suis libéré de toutes ces contraintes, de format, de … des contraintes de carrière en réalité (Comme je le comprends…). Ça a été beaucoup mieux, tant dans ma vie musicale que privée. (Rires)
Les années Jéronimo personnellement furent des années merdiques. C’est beaucoup mieux maintenant ça n’a aucune comparaison. Il était temps en somme. Mais je m’en rendais pas compte, ça a été l’après coup que …
T – Et pourtant tu as quand même réussi à faire quelque chose de très bon.
J – Là pour le moment, je suis dans une phase très critique et sévère avec le parcours de Jéronimo. Il y a 3 ou 4 bons trucs que j’en retiens (mmmh, un peu plus quand même non?) et le reste on oubliera.
T – Il n’y a que Zinzin que j’ai pas accroché (il est ouvert à la critique, je me permets de le faire)
J – Zinzin, non je sais pas ce qui m’a pris de faire cet album. (rires)
T – Pour la petite histoire, je l’entends passer dans le couloir, j’ai demandé ma compagne en fiançailles sur « Irons-nous voir Ostende ? » à l’époque de Mélodies Démolies… ça remonte. (je le sens un peu… gêné ? Honoré.)
J – Celle-là voilà. Et c’est marrant que tu la mentionnes. Parce que j’aurais dû m’arrêter le jour où j’ai écrit cette chanson. Au niveau chanson française, explicite, plutôt pop, accessibilité, je ferai pas mieux que cette chanson.
T – C’est la plus belle de tes chansons pop.
J – Oui ! Je suis d’accord. C’est vraiment une bonne chanson. C’est peut-être ma seule vraie bonne chanson.
T – La version sur Zinzin était un peu trop tirée en longueur (12 minutes quand même) mais elle avait le mérite d’y apporter une autre interprétation, une version différente. La première version est beaucoup plus directe. Elle va plus au coeur. Dans un petit pays comme le nôtre, dire qu’on ira voir l’autre coté c’est génial. Et puis bon… elle a accepté ma demande en fiançailles. Elle m’aurait dit non, je ne serai pas là en train de te parler (larges rires)
Un tout grand merci pour ton temps et la crédibilité que tu m’as accordés. Un dernier truc, si tu as l’occasion de rencontrer Rebecca Vernon (la chanteuse de SubRosa), dis lui que c’est la plus belle femme du monde. (larges rires de nouveau). Bonne continuation
J – D’accord (rires). Merci toi aussi Tiph et bon courage.
- Tiph