Les jeux vidéo indépendants ont connu une véritable montée en puissance ces dernières années, sans doute due au désintérêt d’une partie grandissante du public joueur pour les grosses productions. Un peu comme une personne peut se lasser de la pop qu’elle entend tous les jours à la radio et chercher à étendre ses horizons musicaux (lol), le féru d’art vidéoludique est en droit de vouloir chercher ailleurs. Destiné à un public moins large et surtout bénéficiant d’un budget moins conséquent, le jeu indépendant se démarque par ses idées fraîches. Il ose s’éloigner des genres les plus populaires (à savoir les shooters), se permet une trame scénaristique dénuée de clichés, un design artistique d’avant-garde, une bande-son sortant des sentiers battus.
C’est évidemment ce dernier point qui va nous intéresser. Bien qu’elles ne soient pas toutes dénuées de qualité, il faut reconnaître que les bandes-originales « classiques » finissent par se ressembler. La liste (non exhaustive) qui suit aura donc pour but de mettre en avant quelques jeux et artistes qui auront su se démarquer.
Darren Korb – Bastion, Transistor, Pyre & Hades
Il est intéressant de remarquer que de la même manière qu’un réalisateur puisse avoir un artiste de prédilection pour ses bandes- originales (par exemple Tim Burton – Danny Elfman ou encore David Fincher – Trent Reznor & Atticus Ross… nos chouchous?), il arrive qu’une certaine loyauté s’établisse entre développeurs et artistes. C’est le cas pour Darren Korb, qui a réalisé la musique des quatre jeux sortis à ce jour de Supergiant Games : Bastion, Transistor, Pyre et Hades.
La musique de Darren Korb est assez difficile à définir. Elle contient des éléments de trip-hop, de folk, et emprunte encore à d’autres. Elle diffère aussi suivant le thème de l’œuvre qu’elle accompagne. Dans le cas de Bastion par exemple, l’accent est plutôt mis sur une ambiance Western. Les chansons de Transistor ont la voix de l’héroïne, qui les chante durant des scènes spécifiques du jeu. Quant à Pyre, il s’agit surtout de morceaux assez planant mélangeant l’atmosphère du post-rock aux caractéristiques stylistiques de la folk (écoutez « Downside Ballad » qui est vraiment magique). Dans tous les cas, c’est une musique qui permet au joueur de s’immerger dans l’histoire du jeu et de pouvoir revenir à la bande originale qui s’écoute à elle seule sans aucun problème.
Enfin, la dernière BO produite par Darren Korb est celle de Hades, dernier venu chez Supergiant Games. Plus orientale que les trois BO précédentes, on y retrouve cependant les codes qui font de Korb un artiste à part entière à la patte tout à fait reconnaissable. Cette touche de folk avec quelques guitares acoustiques est récurrente dans les compositions de l’artiste. Et à ceux qui nous diraient qu’une musique de film ou de jeu vidéo est difficilement écoutable en dehors de l’expérience visuelle, nous leur conseillerons d’écouter le morceau « River of Flames« , qui dure plus de 9 minutes, et de revenir après… Expérience musicale presque progressive!
Nous vous invitons à écouter ces bandes originales, même si vous n’êtes pas de ceux qui aiment les jeux-vidéo. Elles sont suffisantes pour apprécier l’univers musical des jeux qu’elles illustrent. Voici les quatre liens Bandcamp de ces BO :
Various Artists – Hotline Miami (1 & 2)
El Huervo, Perturbator, Dubmood, Carpenter Brut, Mitch Murder, pour ne citer qu’eux, sont autant d’artistes figurant sur les somptueuses soundtracks des jeux Hotline Miami. La musique accompagne parfaitement l’esthétique des jeux : un hommage aux néons des années ’80, mais aussi parfois des virées vers l’étrange, le malaisant ou l’hyperviolence. Et heureusement que la musique est bonne, puisque l’implacable difficulté du jeu vous forcera à refaire certains niveaux maintes fois avant de les réussir ! Nous sommes persuadés que cette synthwave aura connu un regain d’intérêt grâce à cette série de jeux, pour le plus grand plaisir des artistes! Lorsque l’on voit l’engouement que génère les concerts des artistes précités (surtout Perturbator et Carpenter Brut pour le moment, il faut bien l’avouer), on se dit que les sonorités kitsches des années 80 on la cote.
Que cela plaise ou non, ce regain d’intérêt pour ce genre de sonorités avait été aussi remarqué lors de la sortie du film Drive et de sa BO où figurait le légendaire Kavinsky et le fameux morceau « Nightcall ».
Voici une playlist sur YouTube qui reprend la B.O. de ce jeu devenu célèbre auprès de la communauté des fans de jeux indé :
Disasterpeace – Fez & Hyper Light Drifter
Disasterpeace a bien plus d’œuvres sous la ceinture que ces deux bandes-originales (et même celle du film It Follows), mais dans un souci de concision la limite sera de deux. Rien ne vous empêche de profiter de votre confinement pour parcourir le Bandcamp de l’artiste, et vous constaterez que l’artiste est extrêmement prolifique (et qualitatif) et qu’il vous faudra plus qu’une période de coronavirus pour tout écouter… Également fort inspiré par les années ’80, Disasterpeace a pour particularité de faire la part belle à des nappes de synthés d’ambiance qui plairont notamment aux fans de la BO de Minecraft (voir plus bas).
La différence de ton risque de vous surprendre si vous passez de la musique de Fez à celle de Hyper Light Drifter. Alors que dans Fez la musique (souvent proche de l’ambient) est légère et onirique, dans Hyper Light Drifter elle est sinistre et menaçante. Pour deux jeux faisant la part belle à l’exploration d’un monde inconnu, on remarque deux approches complètement différentes, mais l’identité musicale ne se perd jamais et Disasterpeace est d’une incroyable cohérence dans toute son oeuvre. En outre, si vous désirez vous lancer dans la très intéressante exploration des jeux indépendants, Fez est certainement un excellent point de départ. Son univers relaxant plaira également aux personnes n’étant pas particulièrement attirés par les jeux vidéo en temps normal.
C418 – Minecraft
Et ceci nous amène aux origines des jeux indépendants… Enfin pas tout à fait. Disons que Minecraft signe le retour de l’intérêt du grand public pour ces petites productions indépendantes. Aujourd’hui, Minecraft n’appartient malheureusement plus vraiment à son créateur (Notch) et je vous invite à vous renseigner sur cette histoire (que je trouve assez triste) en faisant quelques recherches sur internet. En effet, Mojang (le studio indépendant ayant créé le jeu) a depuis été racheté par Microsoft et Minecraft est maintenant une grosse machine aux nombreux produits dérivés et n’a plus trop l’air d’une production indé…
Mais sa musique reste cependant emblématique et aura marqué toute une génération de joueurs qui découvrent les joies de la construction en mode bac à sable… Style qui aura d’ailleurs été moult et moult fois copié depuis le début des années 2010. Et c’est C418 qui a eu l’honneur d’illustrer en musique cette expérience vidéoludique inédite à l’époque. Grâce à un style ambient et très chill, l’artiste ajoute une part de mystère au jeu du fait de ses mélodies relaxantes. C’est une BO tout à fait sublime, propice à l’évasion et à l’introspection tant le calme et la sérénité règne tout au long du voyage musical (écoutez « Subwoofer Lullaby« … sublime).
Austin Wintory – Journey, Abzû & The Banner Saga
Austin Wintory est un autre de ces artistes fidèles à un studio. Ou plutôt à une personne dans ce cas-ci, à savoir Matt Nava, Art Director tout d’abord chez thatgamecompany, puis co-fondateur et Creative Director de Giant Squid. thatgamecompany a entre autres développé Journey et Flow, alors que Giant Squid est responsable du jeu Abzû sorti récemment. Austin Wintory est donc l’artiste derrière la B.O de ces 3 jeux.
Sa musique est un peu l’exception à la règle puisqu’elle se rapproche le plus de la musique classique. Pour autant, elle se prête parfaitement à ces titres qui sont indéniablement parmi les titres les plus poétiques que le jeu vidéo nous ait offert. C’est une musique certes classique mais très moderne, les belles envolées lyriques présentes sur Abzû sont là pour en témoigner. Le style de Wintory nous évoque d’ailleurs, par moments, celui de Jeremy Soule dans la BO de Guild Wars (1 et 2) par exemple… (Sur « Delphinus Delphis » notamment). Très poétique, c’est également une BO qui s’écoute sans jouer au jeu, tout comme celle de Journey qui, comme son nom l’indique, est un voyage à part entière.
Pour ce qui est de Banner Saga, l’artiste adopte un style toujours classique, mais plus terre à terre pour correspondre au sujet qu’il tente d’illustrer. Ce jeu nous avait marqué par la qualité de sa réalisation, de ses dessins et de son scénario digne d’un bon roman de fantasy ou d’un excellent film. C’est pour ces différentes raisons que nous vous conseillons ce jeu, divisé en trois épisodes, car le gameplay se révèle être assez répétitif et limité dans les actions. Vous découvrirez alors une musique plus sombre, mais plus adaptée à un univers comme la fantasy. Voici les différents liens Bandcamp :
Danny Baranowsky – Super Meat Boy, The Binding of Isaac & Crypt of the Necrodancer
À l’opposé du spectre musical, nous avons Danny Baranowsky, qui compose pour des jeux autrement plus nerveux. Parmi ceux-ci, Super Meat Boy et The Binding of Isaac, chapeautés par Edmund McMillen, et plus récemment Crypt of the Necrodancer, par Brace Yourself Games. De manière générale, il s’agit de musique plus répétitive et quelque peu dansante, incluant quelques éléments de rock pour ce qui est de Super Meat Boy, un jeu qui fut le centre d’un documentaire (avec Fez, notamment) disponible tout un temps sur Netflix, intitulé Indie Game, tout simplement.
The Binding of Isaac, très bon roguelike, se voit accompagné d’une très chouette BO qui a aussi été adaptée au piano (voir ci-dessous) alors que la musique de Crypt of the Necrodancer se veut de nouveau plus… Dansante. Pratique pour accompagner un jeu où le rythme a une importance primordiale.
Steven Wilson – Last Day of June
Enfin, nous terminerons cette liste (non exhaustive, je le rappelle) des BO de jeux vidéo indépendants en vous proposant d’écouter le superbe disque (et jeu) Last Day of June. Il s’agit d’un jeu contemplatif basé sur le morceau et le clip vidéo « Drive Home » de Steven Wilson. Le réalisateur, Massimo Guarini, s’est inspiré de l’univers visuel de Wilson pour créer une fresque vidéoludique poétique à tomber par terre. Un jeu avait rarement atteint un niveau esthétique aussi élevé avec si peu de détails.
Wilson a donc retravaillé certains de ses morceaux pour qu’ils soient adaptés à Last Day of June. Il en a également recomposé quelques uns mais globalement, les fans de Wilson reconnaîtront la patte de l’artiste et verront que l’identité musicale du britannique se prête parfaitement à l’univers de la musique instrumentale. Un chef d’oeuvre, à tous les niveaux.
Et après…
Nous n’avons certainement pas fait le tour de la question et vous proposerons peut-être une deuxième partie à cet article. L’univers des jeux vidéo indépendants est vaste et beaucoup d’artistes musicaux aiment accompagner les créateurs dans leurs délires. Cette scène est un peu similaire à celle des films d’auteur dans le cinéma : il y a du très bon et du très mauvais. Mais lorsque les artistes ne désirent pas nécessairement faire du profit et souhaitent simplement rentrer dans leurs frais, on constate souvent qu’ils développent leur potentiel créatif au maximum, pour le plus grand plaisir de nos yeux et de nos oreilles.
- Anthony & Guillaume