Dans la catégorie des albums qui traversent les décennies sans prendre de ride, et qui intrinsèquement ne font que se bonifier avec le temps, on retrouve le Lady in Satin de Billie Holiday, tout simplement l’une des plus grandes chanteuses de jazz de tous les temps. Cet album-testament, qui survient avant son décès l’année suivante en 1959 causé entre autres par une cirrhose et une insuffisance rénale, est miné d’une immense mélancolie déversée sur chaque seconde de l’album. Fatiguée, désespérée, qui a outrageusement dépassé le cadre de la simple dépression, Billie Holiday livre sa plus grande et émouvante œuvre avant de laisser le monde orphelin de son talent.
La diva mélange chant et soupirs à travers une voix malade, ravagée par l’alcool, la cigarette, les drogues, les psychotropes, bref toute substance que l’on imagine sans mal ingérer. Toujours hanté par ses vieux démons et son passé plus qu’houleux (Billie Holiday, de son vrai nom Eleanora, a eu une jeunesse désastreuse, s’est faite violer, a séjourné quelques mois en prison, a perdu nombre d’amis et de proches, et a même été jusqu’à se prostituer), elle étale sur Lady in Satin tout ce qu’elle a dans les tripes et sur le cœur, derrière un talent certain au service de complaintes toutes plus belles les unes que les autres.
Des chansons poignantes pour la plupart devenues classiques (« I’m a Fool to Want You » est joué par de nombreux jazz bands) et profondément intimistes qui mettent en avant le thème de l’amour déchu, soutenues par un superbe orchestre dirigé par le grand producteur, arrangeur et conducteur Ray Ellis, et toujours dans la tradition du jazz dit « classique » : la mélancolie et le spleen transparaissent derrière un côté faste et demandent qu’on gratte un peu la chose pour en savourer toutes les fragrances. Notamment au travers des paroles.
Lady in Satin est assurément l’une des plus belles réussites du jazz (vocal) toutes époques confondues, dont la fragilité et l’émotion qui s’en dégagent, notamment par cette voix unique, lui procure un cachet des plus délectables. Un pur chef-d’œuvre du jazz vocal au sens premier du terme à recommander à tout mélomane qui se respecte, ne serait-ce qu’une seule fois dans une vie pour rendre hommage à cette Diva de la Musique.
- Alessandro