Chroniqueur, graphomane lexicopathe féru d'humour absurde et d'une myriade de genres musicaux : musique psychédélique, prog, jazz, fusion & funk, ambient, minimalisme, RIO, zeuhl, gamelan, éthio-jazz, folk imaginaire, IDM, abstract hip hop...

Attention : cet improbable et probablement interlope écrivaillon venu d’ailleurs manquant cruellement d’objectivité – comme chacun de nous et de vous, d’ailleurs -, la chronique que vous lirez peut-être se veut l’éloge abusément over-the-top sa mëhr en kobaien d’un album qu’il semble difficile d’estimer à sa juste valeur, tant son poids émotionnel et sa lévité chromatique ne cessent de parasiter tous ceux qui essaient de le coucher sur papier et de l’enfermer dans une aridité prétendument cartésienne.

 
Alors bien sûr, l’on pourrait rappeler ici :
    • que l’enfantement de cette oeuvre représente une période extrêmement intense et difficile pour le dénommé Wyatt (Robert), qui se retrouve en chaise roulante après une soirée de tout début juin ’73 bien arrosée ;
    • qu’il doit sa survie, justement, au fait d’avoir été trop saoul et donc trop détendu pour se briser littéralement la colonne vertébrale ;
  • et qu’il est naturel donc, que Rock Bottom trace un schisme inaltérable, une rupture radicale entre la folle vie de jeune aspirant pataphysicien de l’ancien batteur de Soft Machine et Matching Mole et ses aspirations futures de songwriter libre, qui toujours sait apposer à ses circonvolutions jazzy en roue libre, un propos minimaliste, touchant, atmosphérique et contestataire…. mais ce n’est pas l’angle wikipédien que j’avais envie d’exploiter ici, quel que fût son mérite et sa lumineuse clarté no(ta)tionnelle.
Échange Saturnien I : Robert Wyatt, Rock Bottom –
Morceau-phare : Little Red Riding Hood Hit the Road, la chanson-palindrome (!) ~

Chersires,
Chers Confrérieurs d’intérieur,
Chers esprits neufs et muiscalement horizontaux,

Par la présente, j’inaugure une centaine de révolutions lunaires à présenter brièvement les cent albums de ma mosaïque avant d’en fomenter d’autres dans un avenir flamboyamment badin. Le point de vue adopté sera complètement a-hiérarchique et multiple, Ilva Sandihr, quel serait le but d’ordonner les choses dans de si vastes espaces d’excellence ? S’y côtoieront donc divers albums oracles qu’il serait inique de vouloir en rang dresser, mais qui tous valent un attentif recueillement… Si jamais vous lisez ces lignes, il est donc conseillé de s’y abreuver les tympans en même temps, ce qui devrait être le mode d’emploi vital de chaque récit d’apologie musical. Je tâcherai également de me trouver à chaque fois un pseudo que j’estime représentatif de l’album, que j’apposerai en fin d’article. Pour l’inutilité glorieuse du geste.

Le premier de ces astres de pétrole n’arrive comme une surprise que pour ceux qui ne connaissent poinct encore les goûts du cartel psyché d’NMH, il s’agit de cet Album dont la chaleureuse recommandation résonnera encore plus d’une fwès à vos zaguerries zouïes, puisque notre fanboyisme collectif en frise l’obsession.

Le voici donc – et le revoilà pour d’autres, mais s’en lasse-t-on ? – et comme j’avais noté en extase devant ce catalyseur émotionnel qui agit comme une drogue naturelle pour beaucoup d’amateurs de musique, bien au-delà des frontières du prog : voici ce qui restera mon album de coeur, à jamais. Aucun disque ne m’émeut plus complètement que ceci… c’est une thérapie musicale, un poison doucereux et enchanteur, un trousseau de clefs célestes, abyssales et introspectives à la fois ~

Résumé de l’épisode suivant : à l’écoute de Rock Bottom, attendez-vous à de nombreuses et sinueusement existentielles découvertes, parmi lesquelles celles rassemblées infra :

    • Vous sillonnerez les récifs hallucinés d’une ballade à fleur de peau et d’âme, Sea Song, délicieusement pétrie et hantée par d’étranges créatures marines phosphorescentes… Vous vous réveillerez juste à temps pour A Last Straw, encore semi-comateux et empreint d’une rêverie toute enfantine, sur la plage de slide guitar et les ritournelles jazzy du meneur de cette bien étrange équipée, pendant que d’unitoniques cascades de piano se réverbèrent dans le lointain…
  • Déboulera ensuite devant vos tympans ébahis les trompettes de l’apocalypse en multi-tracking du sud-africain Mongezi Feza, annonçant la formidable chanson-palindrome, Little Red Riding Hood Hit The Road. C’est une véritable course-poursuite en 3D à travers des spires psychédéliques surgissant de partout, façon « une maille à l’endroit, une maille à l’envers », et dont les volutes obsédantes annoncent déjà les moments les plus libres d’un disque appelé Kid A. Vous noterez aussi, pour la forme, que la basse acrobatique de Richard Sinclair y fait des merveilles.
  • Après cette brillante overdose de sensations, la respiration « Alifib-Alifib-Alifib » vous envoûtera de son rythme doux et primal, tandis que l’orgue-jouet Riviera de Wyatt et l’oiseau-basse du compère Hugh Hopper tissent leur toile de rêve en arrière-plan. À propos du vibrato particulier de l’instrument acquis pour quelques lires dans un magasin de jouets sis près de Venise, Wyatt notera :
    « This music began to emerge in Venice, during the winter of 1972, on the tiny island of Giudecca in a huge old house overlooking the lagoon. For a couple of months I spent the days alone, while Alfie and a bunch of friends spent their days working on a film. After years of constant work, in groups and on the road, I was uneasy about doing nothing all day. To keep me occupied, Alfie bought me a very basic little keyboard with a particular vibrato, that shimmered like the water that surrounded us. The basic structure of the music was written there, in between watching the lizards on the walls of the house and visiting the local bar to listen to out-of-work gondoliers practicing ‘O Sole Mio’. » 

    • Les oreilles curieusement entrouvertes, vous y ouïrez une première version, façon berceuse subtilement autistique, du thème d’Alif(i)e, déclaration d’amour de Wyatt à son aimée pleine de romantisme pataphysique et éprise de non-sens, une déclaration qui vous revisitera bientôt en version nerveuse et free jazz, éclaboussée par la clarinette basse éructante de Gary Windo :
  • « Not nit not nit no not
    Nit nit folly bololey
    Alifi my larder
    Alifi my larder
    I can’t forsake you or
    Forsqueak you
    Alifi my larder
    Alifi my larder
    Confiscate or make you
    Late you you
    Alifi my larder Alifi my larder
    Not nit not nit no not
    Nit nit folly bololy
    Burlybunch, the water mole
    Hellyplop and fingerhole
    Not a wossit bundy, see ?
    For jangle and bojangle
    Trip trip
    Pip pippy pippy pip pip landerim
    Alifi my larder
    Alifi my larder
    I’m not your larder,
    jammy jars and mustard. »
  • Vous escortera enfin hors de ce dédale d’Alice dallé par Dalí, le prog-rock simultanément en grande pompe et intimiste de Little Red Robin Hood Hit the Road. Vus l’économie de moyens et le centrage sur l’essentiel de l’album, c’est au chevalier Mike Oldfield que revient d’entonner un hymne à la noble humilité et à l’emphase discrète, empreint de médiévisme fantasmé. L’épilogue ? Fred Frith et le poète écossais Ivor Cutler vous gratifient d’un poème dadaïste illustré au violon alto et au bandonéon, avant que la vérité véritable de ce monde ne vous soit enfin révélée : « Ha ha ! » Tout cela pour apprendre que l’univers de Wyatt naît et s’éteint dans un rire, seule réponse valide face à l’absurdité du monde et de son destin d’invalide supra-lucide et sérieusement ludique.

En attendant que vous redescendiez peut-être de cet encart à propos du génie indéfinissable qu’est Robert Wyatt, la convergence stellaire et sublunaire 1974 vous salue bien bas, vous envoyant la bise abbatiale, et ce discours d’escorte vous souhaite une belle plongée dans les abîmes sélénites, justement, d’où l’on renaît à chaque fois après s’y être effrontément effondré.
Celui qui s’y abreuve vivra.

  • Tom, Ménestrel, pour le coup diantrement emmêlé dans une escouade de rêves unitoniques et ambivalents ~

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