Entamons cette cuvée d’où surgissent spontanément mil amas d’obscures étoiles hérissées d’ouroboros (si ce visuel impossible veut bien se laisser invoquer aisément) avec l’énigme rétro-futuriste This Heat, et émerveillons-nous flegmatiquement en face de ce qui pourrait bien être – au sens où l’ouït vostre scriptor – LE groupe-charnière de la fin des caméléoniques Seventies.
Le mode d’emploi de rigueur est simplissime : une fois passé le choc sonore de se trouver face à une musique aussi post-moderne pour son millésime, il vous suffit de laisser infuser la raideur primale et la ferveur instinctive échaudées par la puissance de ce rouleau compresseur incandescent. L’équilibre instable de This Heat brouille les repères habituels, et s’installe non loin des frontières brumeuses qu’affectionnent également King Crimson, Embryo ou Miles Davis, entre composition libre et improvisation contrôlée.
Leur souci du détail, et leur goût pour les textures indécises rendent également étrangement ludique l’estimation de l’apport de chacun, car ici tout se rejoint dans une masse sonore compacte, qu’il s’agisse de la frappe octopussienne du batteur Charles Hayward (un rescapé de l’écurie Canterbury – foncez écouter le vivifiant Quiet Sun ! – dont la voix possède ce ‘tit quelque chose d’un Eno chevrotant chaleureusement, Messie, Messie) ou des crissements experts du multi-instrumen/bruitiste aux allures de mage tantrique Charles Bullen.
Ajoutez à cette mixture improbable Gareth Williams, leur regretté compère diffracteur d’atmosphères et tripatouilleur de bandes magnétiques antédiluviennes, et vous obtiendrez un résultat aussi confondant qu’un rite initiatique, et parfois plus (délicieusement ?) poussiéreux que l’ancienne boucherie qu’ils ont élu comme lieu d’enregistrement… en cette fin de décennie monochrome où pleure le spleen des rêveries perdues.
Pourvu que le revers de l’Histoire du « rock » révèle un jour au plus grand nombre la carrière éphémère mais foudroyante de This Heat, vénérable groupe-labo qui a servi de point nodal à une foule de post-genres et de chemins de traverse. Les deux plaques fondatrices This Heat et Deceit (prononcez « This Heat », hu hu), si elles contiennent certes dans leur essence des débris de ce qui est venu avant elles, charrient également dans leur sillon tout un cortège de futurs alternatifs prometteurs qu’amèneront bientôt Battles, Don Caballero, Hella ou encore les nippons sous stéroïdes de Ruins et Korekyojinn.
J’ai sic fait de ce post mon ab ovo avoué auprès de la fière frégate NMH (ou soeuresse plutôt un galion ? Ces métaphores échevelées me perdront !), car il est grand temps de réhabiliter ces disques qui sont définitivement hors de portée de tout effort de timeline. Puis, je voulais profiter de cette incartade initiale pour débuter aux antipodes du psychédélisme multicolore qui est mon fief de choix.
Mais more on that later… pour l’heure, j’invite donc vos auditifs canaux aguerris à plonger sans retenue dans cette synthèse parfaite entre les rythmes kraut/tribaux à la Can (salut, Jaki !) et le post-punk désenchanté, à zigzaguer enmi les grincements indus et les grésillements ambients, toujours armés d’une furie calculée annonciatrice de l’IDM, du math-rock et du noise…
Une dyade d’extraits propitiatoires, en attendant le concert du 12 novembre au De Kreun à Courtrai ? À savourer en priorité : le diptyque atomisé ultra-catchy formé par les morceaux-cavalcades S.P.Q.R. et A New Kind of Water ! Ou l’acte de naissance officieux – et un des berceaux insoupçonnés – de nos meilleurs potes les post-genres.
Liens des albums et de la réunion du groupe en duo augmenté :
https://www.youtube.com/watch?v=Zclze9rRGoM (This Heat, 1979)
https://www.youtube.com/watch?v=_53J5VS_guk (Deceit, 1981)
https://www.facebook.com/ThisIsNotThisHeat/